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Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre XXIV - Rome, de 215 à 213

1. Situation en Sicile et en Italie méridionale, 215 à 214 ([XXIV, 1] à [XXIV, 20])

 

Reddition de Locres (automne 215)

[XXIV, 1]

(1) À son retour de la Campanie dans le Bruttium, Hannon, aidé et conduit par les Bruttiens, chercha à se rendre maître des villes grecques qui persistaient d'autant plus à rester fidèles à l'alliance de Rome, qu'elles voyaient avec les Carthaginois les Bruttiens, objet pour elles de crainte et de haine à la fois. (2) Ce fut sur Régium que se porta la première tentative, et Hannon y employa quelques jours fort inutilement.

Pendant ce temps-là les Locriens transportent en hâte de leurs champs dans la ville le blé, le bois et toutes les choses nécessaires à la vie, dans l'intention aussi de ne rien laisser à l'ennemi dont il pût profiter. De jour en jour la foule qui sortait par toutes les portes devenait plus considérable. (3) On en était venu à ne laisser dans la ville que ceux que l'on forçait à réparer les murs et les portes, et à faire des amas d'armes sur les remparts. (4) Cette multitude, composée d'habitants de tout âge et de toutes conditions, errait dans la campagne en grande partie sans armes. Le général carthaginois Hamilcar lança contre eux quelques cavaliers; il leur fut défendu de maltraiter qui que ce fût, et ils se contentèrent de disposer quelques pelotons de manière à fermer tout retour aux fuyards. (5) Le général lui-même se plaçant sur une éminence d'où il dominait la campagne et la ville, envoya sous les murs une cohorte de Bruttiens, avec ordre d'appeler à une entrevue les principaux Locriens, de leur promettre l'amitié d'Hannibal, et de les engager à livrer la ville. (6) D'abord ils ne voulurent pas ajouter foi à ce que disaient les Bruttiens; mais lorsque les Carthaginois se montrèrent sur les hauteurs, et que quelques fuyards vinrent annoncer que tout le reste du peuple était au pouvoir de l'ennemi, vaincus par la crainte, ils répondirent qu'ils allaient consulter le peuple.

(7) L'assemblée fut aussitôt convoquée; les esprits les plus légers se déclarèrent pour un changement et pour cette alliance nouvelle, et ceux dont les parents étaient retenus hors de la ville par l'ennemi se trouvaient aussi liés que s'ils eussent donné des otages. (8) Quelques citoyens seulement, tout en sentant bien qu'il valait mieux rester fidèles à la foi jurée, n'osaient pas toutefois déclarer que tel était leur avis. Il y eut donc, au moins en apparence, unanimité dans la résolution de se donner aux Carthaginois. (9) L. Atilius, qui commandait la garnison, et les soldats romains qui la composaient, furent conduits secrètement au port et placés sur des vaisseaux qui devaient les porter à Régium. On reçut alors Hamilcar et les Carthaginois dans la ville, à condition qu'un traité serait fait aussitôt, dans lequel les deux parties seraient considérées comme égales. (10) Aussitôt après la reddition de la ville, ces conditions faillirent être rompues, le Carthaginois accusant les Locriens d'avoir employé la ruse pour faire échapper les Romains, et les Locriens, au contraire, prétendant que les Romains avaient pris d'eux-mêmes la fuite. (11) Hamilcar envoya même des cavaliers pour les poursuivre, dans le cas où le vent les eût retenus dans le détroit, ou contraints de revenir à terre. Ceux qui les poursuivaient ne purent les atteindre, mais ils aperçurent d'autres navires qui traversaient de Messine à Régium. (12) C'étaient des soldats romains que le préteur Claudius envoyait tenir garnison dans la ville. Hasdrubal ne pensa donc plus à Régium.

(13) Par ordre d'Hannibal les conditions du traité avec les Locriens furent celles-ci: "ils devaient vivre libres sous leurs lois; la ville serait ouverte aux Carthaginois et le port resterait au pouvoir des Locriens. Aux termes de l'alliance, les Carthaginois devaient aider les Locriens en temps de paix et en temps de guerre, et les Locriens les Carthaginois."

Les Bruttiens attaquent Crotone

[XXIV, 2]

(1) Les Carthaginois s'éloignèrent donc du détroit, et les Bruttiens en furent mécontents, parce qu'il leur avait fallu respecter Régium et Locres, qu'ils avaient résolu de piller. (2) Ils se décident à enrôler et à armer quinze mille hommes de leur jeunesse, et marchent seuls contre Crotone, dont ils font le siège. Crotone étant aussi une ville grecque et une ville maritime, (3) ils comptaient bien augmenter considérablement leur puissance s'ils pouvaient s'emparer d'un port de mer, entouré de fortes murailles. (4) Mais ils avaient une inquiétude: il était bien difficile qu'ils n'appelassent pas les Carthaginois à leur aide, sous peine de paraître ne plus agir en alliés; et, d'un autre côté, si le Carthaginois devait se faire une fois encore l'arbitre de la paix plutôt que leur auxiliaire dans leur projet de conquête, ils auraient encore combattu sans avantage contre l'indépendance de Crotone, comme auparavant contre celle de Locres.

(5) Ils crurent que ce qu'ils avaient de mieux à faire, c'était d'envoyer une ambassade à Hannibal et de prendre leurs précautions à son égard, afin que Crotone, une fois prise, appartînt aux Bruttiens. (6) Hannibal répondit que c'était à ceux qui étaient sur les lieux de décider la question, et il les renvoya à Hannon. Hannon ne leur répondit rien de positif; (7) et, en effet, ni lui ni Hannibal ne voulaient abandonner au pillage une ville célèbre et opulente, et ils espéraient bien que quand les Bruttiens l'assiégeraient, et qu'il serait évident que les Carthaginois n'approuvaient ni ne secondaient cette attaque, Crotone ne s'en livrerait que plus vite aux Carthaginois.

(8) À Crotone, il n'y avait ni résolution ni volonté unanime parmi les citoyens. Il semblait que la même maladie se fût répandue sur tous les états de l'Italie; partout le peuple et les principaux citoyens étaient divisés d'opinion: le sénat était pour Rome, et le peuple se prononçait pour les Carthaginois. (9) Un transfuge annonce aux Bruttiens que Crotone est ainsi divisée: qu'Aristomachus, tout puissant sur le peuple, veut livrer la ville; que dans une si vaste enceinte, où les diverses parties des remparts sont si éloignées les unes des autres, quelques postes, quelques corps de garde seulement sont occupés par les sénateurs; mais que sur tous les points confiés à des hommes du peuple, l'accès leur serait facile.

(10) Encouragés et guidés par le transfuge, les Bruttiens cernèrent la ville: reçus par le peuple, ils se rendirent maîtres, à la première attaque, de tous les postes, à l'exception de la citadelle qui était au pouvoir des nobles. (11) Déjà depuis longtemps ils s'étaient préparé ce refuge contre les chances d'un pareil malheur. Aristomachus s'y réfugia aussi, montrant par là qu'il avait voulu livrer la ville aux Carthaginois et non pas aux Bruttiens.

Reddition de Crotone

[XXIV, 3]

(1) Crotone avait un mur de douze mille pas de circonférence avant l'arrivée de Pyrrhus en Italie. (2) Dépeuplée par cette guerre, les habitants en occupaient à peine la moitié. Le fleuve, qui d'abord avait traversé la ville, passait maintenant en dehors des lieux habités; (3) la citadelle aussi était éloignée de la partie peuplée. À six milles de la ville était un temple célèbre, plus célèbre encore que la ville: c'était le temple de Junon Lacinia, fort révéré de tous les peuples d'alentour. (4) Là un bois sacré, qu'entourait une forêt épaisse de hauts sapins, renfermait d'abondants pâturages. Y paissaient sans bergers des troupeaux de toute sorte consacrés à la déesse; (5) chaque espèce, à l'approche de la nuit, retournait séparément à son étable sans avoir jamais eu à souffrir des attaques des bêtes sauvages ou des pièges des hommes. (6) Aussi les produits de ce troupeau étaient considérables: on les avait employés à élever une colonne d'or massif, consacrée à la déesse, et le temple, déjà célèbre par sa sainteté, l'était devenu aussi par ses richesses. (7) Comme il arrive presque toujours pour des lieux aussi renommés, il se rattache à ce temple quelque chose de miraculeux: on dit donc qu'il y a dans le vestibule un autel où les vents ne troublent jamais la cendre des sacrifices.

(8) Quant à la citadelle de Crotone, qui d'un côté domine la mer et de l'autre regarde la campagne, elle n'eut d'abord d'autres fortifications que sa position naturelle: par la suite elle fut aussi entourée d'un mur à l'endroit où Denys, tyran de Sicile, l'avait surprise par ruse en prenant les rochers à revers. (9) Telle était cette citadelle, à l'abri, semblait-il, de toute attaque, et alors occupée par les nobles de Crotone. Le peuple s'était joint aux Bruttiens pour l'assiéger. (10) Enfin ceux-ci se voyant incapables de la prendre avec leurs seules forces, et contraints par la nécessité, implorent le secours d'Hannon. (11) Hannon essaya d'obtenir la soumission des Crotoniates, à condition qu'ils recevraient une colonie de Bruttiens, qui repeuplerait cette ville autrefois si populeuse et dont la guerre avait depuis fait une vaste solitude. Il ne put ébranler qu'Aristomachus. (12) Tous juraient de mourir plutôt que de recevoir parmi eux les Bruttiens, et de dénaturer ainsi leur religion, leurs moeurs, leurs lois et bientôt leur langage même.

(13) Aristomachus, n'ayant pas à lui seul assez de crédit pour les engager à se rendre, et ne trouvant pas l'occasion de livrer la citadelle comme il avait livré la ville, vint se réfugier auprès d'Hannon. (14) Bientôt après les députés de Locres entrant dans la citadelle avec la permission d'Hannon, persuadèrent les Crotoniates de se laisser transporter à Locres, et de ne pas attendre les dernières extrémités. (15) Hannibal, à qui une ambassade avait été envoyée, avait déjà lui-même accordé cette permission. Ainsi Crotone fut abandonnée, et les Crotoniates, conduits jusqu'au rivage, montèrent sur les vaisseaux. Presque tous se retirèrent à Locres.

(16) En Apulie, l'hiver même ne s'était pas passé sans combats entre les Romains et Hannibal. Le consul Sempronius s'était établi à Lucérie, et Hannibal non loin d'Arpi. (17) Le hasard, ou quelque occasion favorable à l'un ou à l'autre parti, donnait entre eux naissance à de légers engagements; et les Romains en devenaient chaque jour plus forts, plus prudents, plus habiles à se garantir des surprises.

Situation en Sicile (215)

[XXIV, 4]

(1) En Sicile, la mort d'Hiéron et la montée sur le trône d'Hiéronyme, son petit-fils, avaient tout changé pour les Romains. Hiéronyme était un enfant capable à peine de supporter convenablement la liberté, bien loin d'être assez fort pour le pouvoir. (2) Son âge, son caractère, ses tuteurs, ses amis le précipitèrent dans toute espèce de vices. Hiéron, qui avait prévu ce qui devait arriver, voulut, dit-on, dans sa vieillesse, laisser Syracuse libre de peur que, sous la domination d'un enfant, ce pouvoir qu'il avait acquis et affermi par une si noble conduite, ne pérît au milieu du mépris général. (3) Les filles d'Hiéron s'opposèrent de toute leur force à ce projet, bien sûres que cet enfant n'aurait que le nom de roi, et que tout le pouvoir leur appartiendrait à elles et à leurs maris, Adranodore et Zoïppus, laissés par Hiéron comme les premiers tuteurs d'Hiéronyme.

(4) À l'âge de quatre-vingt-dix ans, assiégé jour et nuit par des caresses de femmes, il n'était pas facile à Hiéron de conserver une âme libre, et de ne penser qu'aux affaires de l'état, sans s'occuper de celles de sa famille. (5) Il donna quinze tuteurs au jeune homme, les suppliant, avant de mourir, de conserver intacte la foi que pendant cinquante ans il avait gardée au peuple romain, et de faire en sorte que le jeune roi ne s'écartât jamais des traces de son grand-père, ni des principes dans lesquels il avait été élevé. Telles furent ses recommandations.

(6) Dès qu'il eut cessé de vivre, les tuteurs du roi rendirent le testament public; ils produisirent dans l'assemblée le jeune homme qui avait alors à peu près quinze ans. (7) Un petit nombre seulement de citoyens qu'ils avaient disposés dans l'assemblée pour exciter les acclamations, approuvèrent le testament. Les autres, comme s'ils eussent perdu leur père, ne témoignaient que de la crainte au milieu de la cité en deuil. (8) On célébra les funérailles du roi, où l'amour, la tendresse des citoyens se firent remarquer bien plus que les soins de sa famille. (9) Bientôt après, Adranodore écarte tous les autres tuteurs, disant hautement qu'Hiéronyme était homme déjà, et capable de gouverner. Renonçant lui-même à la tutelle qui lui était commune avec plusieurs autres, il concentre en sa personne le pouvoir de tous.

Hiéronyme, roi de Syracuse

[XXIV, 5]

(1) Il eût été difficile, même à un roi vertueux et bon, de se concilier l'amour des Syracusains en succédant à Hiéron, qu'ils avaient tant chéri; (2) mais Hiéronyme, comme s'il eût voulu par ses vices faire regretter son aïeul, montra, dès les premiers moments, combien tout était changé désormais. (3) Ceux qui, pendant tant d'années, n'avaient vu ni Hiéron, ni Gélon son fils, se distinguer du reste des citoyens par leurs vêtements ou par aucun autre insigne, (4) aperçurent tout à coup la pompe, le diadème, des satellites armés, et quelquefois même le roi sortant de son palais dans un char attelé de quatre chevaux blancs, à la manière du tyran Denys. (5) À cet appareil, à cet extérieur si orgueilleux répondaient bien son mépris pour tous, son dédain quand il écoutait, sa parole toujours injurieuse, le soin de se rendre inaccessible, non pas seulement aux étrangers, mais même à ses tuteurs, enfin des débauches inouïes et une cruauté sans exemple parmi les hommes.

(6) La terreur fut si grande et si générale, que parmi ses tuteurs, quelques-uns, par une mort ou par un exil volontaire, prévinrent les supplices qu'ils redoutaient. (7) Trois d'entre eux, les seuls qui eussent un accès plus facile dans le palais, Adranodore et Zoïppus, gendres d'Hiéron, et un certain Thrason, n'avaient guère de crédit auprès du roi que sur une seule question: (8) les deux premiers penchaient pour Carthage, Thrason pour l'alliance avec Rome; et leurs débats, la passion qu'ils y mettaient, attiraient de temps en temps l'attention du jeune homme.

(9) Bientôt une conjuration dirigée contre la vie du tyran fut découverte, grâce à un certain Callon, qui était de l'âge d'Hiéronyme et admis dès l'enfance à tous les droits d'une intime familiarité. (10) De tous les conjurés, le dénonciateur ne put nommer que Théodotus, qui lui avait fait à lui-même quelques ouvertures. Théodotus, saisi sur-le-champ et livré à Adranodore pour être soumis à la torture, avoua sans hésitation tout ce qui le regardait lui-même; mais il cacha le nom de ses complices. (11) Enfin, déchiré par les tourments plus forts que l'homme n'en peut supporter, il feint de céder à la douleur, détourne les soupçons de ses complices, et chargeant des innocents, (12) il accuse faussement Thrason d'être à la tête du complot, déclarant que sans l'appui d'un chef aussi puissant, les intimes du tyran n'auraient jamais osé tenter une telle entreprise, (13) et il nomma, parmi les plus indignes, ceux qui en outre se présentaient à son imagination au milieu des douleurs et des gémissements.

Au nom de Thrason, le tyran ne douta plus de rien. Il le fit traîner aussitôt au supplice, où il fut suivi de presque tous les autres accusés, innocents comme lui. (14) Bien que leur complice fût livré à de si longues tortures, aucun des conjurés ne se cacha ni ne s'enfuit, tant ils avaient de confiance dans le courage et l'honneur de Théodotus et tant Théodotus lui-même avait de force pour cacher un secret.

Défection de Syracuse

[XXIV, 6]

(1) Ainsi le seul lien qui maintint l'alliance avec Rome avait été rompu par la mort de Thrason. La défection de la Sicile n'était donc plus douteuse. (2) Des ambassadeurs furent envoyés à Hannibal, qui à son tour envoya au roi un jeune homme d'illustre naissance, nommé Hannibal, ainsi qu'Hippocrate et Épicyde, nés à Carthage, mais dont le grand-père était un Syracusain exilé, et qui toutefois étaient Carthaginois du côté de leur mère. (3) Ils furent les intermédiaires du traité d'alliance entre Hannibal et le tyran de Syracuse, auprès duquel ils restèrent avec l'agrément d'Hannibal.

(4) Le préteur Ap. Claudius, qui commandait en Sicile, apprenant cette nouvelle, envoya des députés à Hiéronyme; lesquels dirent au roi qu'ils venaient renouveler avec lui l'alliance qui existait entre Rome et son aïeul. Hiéronyme les reçut et les congédia avec dédain; il leur demanda en raillant "quel avait été pour eux le succès de la bataille de Cannes? (5) que les députés d'Hannibal en racontaient des choses à peine croyables, et qu'il voulait savoir là-dessus la vérité, pour se décider d'après les chances que lui offriraient les deux partis." (6) Les Romains lui dirent "qu'ils reviendraient lorsque le roi serait en état d'entendre sérieusement une députation". Ils l'avertirent plutôt qu'ils ne le prièrent de ne pas changer légèrement d'alliance, et ils partirent.

(7) Hiéronyme envoya aussitôt une ambassade à Carthage pour arrêter un traité d'après les bases convenues entre lui et Hannibal. Le traité portait que les Romains une fois chassés de la Sicile, ce qui se ferait promptement si Carthage envoyait une armée et une flotte, le fleuve Himère, qui sépare à peu près l'île en deux, serait la limite du royaume de Syracuse et des possessions carthaginoises. (8) Bientôt après, enivré des flatteries de ses courtisans, qui l'engageaient à se rappeler non seulement Hiéron, mais le roi Pyrrhus, son aïeul maternel, il envoya une nouvelle ambassade par laquelle il exigeait comme un droit la possession de la Sicile entière, disant que la domination en Italie était ce que cherchaient les Carthaginois. (9) Cette légèreté, cette jactance, les Carthaginois ne s'en étonnaient pas dans un jeune homme insensé, et ils ne se récriaient pas non plus, pourvu qu'ils pussent le détacher des Romains.

L'assassinat de Hiéronyme (printemps 214)

[XXIV, 7]

(1) Mais tout en lui contribuait à précipiter sa chute. Il avait envoyé en avant Hippocrate et Épicyde avec deux mille soldats pour faire une tentative sur les villes occupées par des garnisons romaines, (2) et lui-même, avec le reste de son armée (quinze mille hommes environ d'infanterie et de cavalerie), il marchait sur Léontium. (3) Les conjurés, qui par hasard se trouvèrent tous à l'armée, s'établirent dans une maison qui était libre et qui donnait sur une rue étroite, par où le roi descendait ordinairement au forum. (4) Là, tous étant à leur poste, bien armés et attendant le passage du roi, l'un d'eux, nommé Dinomène, qui était garde du corps, fut chargé, au moment où le roi approcherait de la porte, de retenir, sous un prétexte quelconque, l'escorte qui devait le suivre. Tout s'exécuta comme il avait été convenu. (5) Dinomène leva le pied pour relâcher les liens de sa chaussure, comme s'ils l'eussent gêné, et il arrêta ainsi l'escorte à une distance assez grande pour que les conjurés, s'élançant sur le roi sans gardes, eussent le temps de le percer de plusieurs coups avant qu'on pût le secourir. (6) Aux clameurs, au bruit qui se fit entendre, on lança sur Dinomène, qui opposait alors une résistance ouverte, des traits à travers lesquels il put s'échapper, bien qu'atteint de deux blessures. (7) Les satellites prirent la fuite à la vue du roi étendu mort, sur la terre. Des meurtriers, les uns courent au forum vers la multitude joyeuse de sa liberté recouvrée, les autres à Syracuse, pour prévenir les desseins d'Adranodore et des autres partisans du roi.

(8) Dans ces vicissitudes, Ap. Claudius Pulcher voyant une guerre s'élever à côté de lui, écrivit au sénat que la Sicile se prononçait pour Carthage et Hannibal. (9) Lui-même, pour se mettre en mesure contre les entreprises des Syracusains, dirige toutes ses troupes sur la frontière qui sépare la province du royaume de Syracuse.

(10) Sur la fin de cette année, Fabius, d'après les ordres du sénat, fortifia Putéoli, qui, grâce à la guerre, était devenu un marché très fréquenté, et y mit garnison. (11) Puis venant à Rome pour les comices, il en fixa la réunion pour le premier des jours comiciaux, et il se rendit droit au Champ de Mars, sans même traverser la ville. (12) Ce jour-là, le sort désigna pour voter la première la centurie des mobilisables de l'Anio. Elle nomme consuls T. Otacilius et M. Émilius Régillus. Le silence rétabli, Q. Fabius prononça le discours suivant:

Discours de Fabius Maximus aux comices

[XXIV, 8]

(1) "Si nous avions la paix en Italie, ou si nous avions affaire à un ennemi qui n'exigeât pas tant de vigilance, celui qui viendrait opposer le moindre obstacle à votre choix, déjà fixé quand vous arrivez au Champ de Mars sur ceux que vous voulez élever aux honneurs, celui-là me semblerait se souvenir bien peu que vous êtes libres. (2) Mais, dans cette guerre, et en face d'Hannibal, il n'est pas arrivé une seule fois qu'un de nos généraux fît une faute sans qu'il en résultât quelque grand désastre pour la république. Il convient donc que vous mettiez autant de soin à nommer les consuls qu'à vous armer pour marcher au combat; il convient que chacun se dise: Je vais nommer un consul capable de résister à un général tel qu'Hannibal.

(3) Cette année, devant Capoue, Vibellius Tauréa, le meilleur des cavaliers campaniens, nous avait provoqués: nous lui avons opposé le meilleur des cavaliers romains, Asellus Claudius. (4) Autrefois, un Gaulois provoqua les Romains sur le pont de l'Anio; nos ancêtres envoyèrent contre lui T. Manlius, plein de confiance en son courage et en ses forces. (5) Ce fut encore, je m'en assure, par ce motif que, peu d'années après, on ne se défia pas de M. Valérius, lequel prit les armes pour combattre un autre Gaulois qui nous avait provoqués.

(6) Nous voulons des fantassins et des cavaliers plus vigoureux, ou tout au moins aussi vigoureux que ceux de l'ennemi. Cherchons donc aussi un général qui vaille le général ennemi. (7) Et alors même que nous aurons choisi le meilleur, élu subitement, nommé seulement pour une année, il se trouvera en face d'un vieux général qui conserve perpétuellement le commandement, qu'aucune borne, soit dans le temps, soit dans ses pouvoirs, ne viendra gêner ni empêcher dans tout ce qu'exigeront les divers accidents de la guerre. (8) Chez nous, au contraire, les préparatifs mêmes, ou à peine le commencement d'une expédition, consument une année entière.

(9) Je viens de vous expliquer assez quels hommes vous devez nommer consuls; il me reste à vous parler en quelques mots de ceux qui ont réuni les suffrages de la centurie appelée la première à voter. (10) M. Émilius Régillus est flamine quirinal, et nous ne pouvons ni l'enlever à ses fonctions sacrées, ni le retenir ici, si nous ne voulons pas que le culte du dieu ou la guerre en souffrent. (11) T. Otacilius a épousé la fille de ma soeur, il a eu d'elle des enfants. Mais, Romains, vos bienfaits envers moi et envers mes ancêtres ne sont pas tels que je ne doive pas sacrifier à la république mes intérêts de famille. (12) Il n'est pas de matelot ou de passager qui, sur une mer tranquille, ne puisse prendre en main le gouvernail; mais dès que s'élève une violente tempête, que sur la mer bouleversée les vents emportent le navire, il faut alors un homme, un pilote. (13) Nous ne naviguons point sur une mer tranquille. Déjà plusieurs tempêtes nous ont presque submergés; il vous faut donc mettre tous vos soins, toute votre prudence, à bien choisir celui qui doit s'asseoir au gouvernail.

Nous t'avons vu à l'oeuvre, T. Otacilius, dans des circonstances moins difficiles, et certes tu n'as rien fait qui doive nous engager à nous fier à toi pour quelque chose de plus important. (14) En équipant, cette année-là, la flotte que tu commandais, nous avions trois motifs: d'abord nous voulions ravager la côte d'Afrique, ensuite protéger les rivages de l'Italie; enfin, et par-dessus tout, empêcher que Carthage ne fît parvenir à Hannibal des recrues avec de l'argent et des vivres. (15) Eh bien! nommez consul P. Otacilius, s'il peut rendre bon compte à la république, je ne dis pas de ces trois commissions, mais d'une seule. Si, pendant que tu commandais la flotte, tout ce qu'on a envoyé de Carthage à Hannibal lui est arrivé comme s'il n'y eût pas eu de guerre maritime, sans le moindre danger et sans aucune perte; (16) si les côtes de l'Italie, cette année, ont été ravagées plus que celles de l'Afrique, que diras-tu donc pour obtenir qu'on te nomme général de préférence à tout autre en face d'un ennemi comme Hannibal? (17) Si tu étais consul, nous demanderions qu'à l'exemple de nos ancêtres un dictateur fût créé; et tu ne pourrais t'indigner que dans Rome tout entière on trouvât un général préférable à toi. Personne n'est plus intéressé que toi, P. Otacilius, à ce qu'on ne fasse pas peser sur ta tête un fardeau qui t'écraserait.

(18) Pour moi, je vous engage de toutes mes forces à nommer vos consuls dans le même esprit où vous seriez si, armés déjà pour combattre, il vous fallait choisir tout à coup deux généraux sous la conduite et sous les auspices desquels vous auriez à marcher à l'ennemi; (19) c'est entre les mains de ces consuls que vos enfants vont prêter serment; c'est par leurs ordres qu'ils se rassembleront, c'est sous leur tutelle, sous leur protection qu'ils feront toute une campagne. (20) Le lac Trasimène et Cannes sont de tristes exemples à rappeler; mais ce sont aussi des enseignements utiles pour nous apprendre à nous garder de pareils malheurs. Héraut, dis aux jeunes gens de la centurie de l'Anio de venir voter de nouveau."

Élections pour l'année 214

[XXIV, 9]

(1) T. Otacilius s'écria alors avec rage que Fabius voulait se continuer dans le consulat, et il poussait de grands cris, lorsque Fabius ordonna à ses licteurs de se diriger vers lui, (2) et il l'avertit que, comme il n'était pas entré dans la ville et qu'il était arrivé directement au Champ de Mars, les faisceaux de ses licteurs étaient surmontés de haches. (3) La centurie qui avait voté la première alla donc de nouveau aux voix, elle nomma consul Q. Fabius Maximus pour la quatrième fois, et M. Marcellus pour la troisième. Les autres centuries nommèrent à l'unanimité les mêmes consuls. (4) Un seul préteur, Q. Fulvius Flaccus, fut réélu; tous les autres furent nouveaux: c'étaient T. Otacilius Crassus pour la seconde fois; Q. Fabius, fils du consul, qui était alors édile curule; puis P. Cornélius Lentulus. (5) Après la nomination des préteurs, un sénatus-consulte chargea extraordinairement Q. Fulvius de l'administration de la ville, et d'y commander de préférence à tout autre, lorsque les consuls seraient partis pour la guerre.

(6) Il y eut, cette année-là, deux inondations: le Tibre déborda dans les campagnes, entraînant avec lui les maisons, les troupeaux et les hommes.

(7) Ce fut dans la cinquième année de la seconde guerre punique que les consuls entrèrent en charge: Q. Fabius Maximus pour la quatrième fois, M. Claudius pour la troisième. Les yeux étaient fixés sur eux avec plus d'intérêt que d'ordinaire. Il y avait, en effet, bien du temps qu'on avait vu deux aussi grands hommes occuper à la fois le consulat. (8) Les vieillards rapportaient que c'était ainsi que l'on avait autrefois élu ensemble Maximus Rullus et P. Décius pour la guerre des Gaules, et plus tard Papirius et Carvilius contre les Samnites et les Bruttiens, contre les Lucaniens et les Tarentins. (9) Marcellus avait été nommé pendant son absence, car il était à l'armée; Fabius était présent, et présidait lui-même les comices, lorsqu'il fut réélu au consulat. (10) Les circonstances, les besoins de la guerre, la position difficile de l'état empêchèrent qu'on ne blâmât cet exemple, ou qu'on suspectât le consul d'être trop avide du pouvoir. (11) On louait, au contraire, cette grandeur d'âme avec laquelle, voyant que la république avait besoin du plus grand de ses généraux, et sachant qu'il n'en avait aucun au-dessus de lui, il s'occupa moins de la haine qu'il pourrait s'attirer que de l'intérêt de la république.

Ides de mars 214; conjuration des prodiges de l'année

[XXIV, 10]

(1) Le jour où les consuls entrèrent en charge, l'assemblée du sénat se tint au Capitole, (2) et il fut décidé, avant tout, que les consuls tireraient au sort ou s'arrangeraient entre eux pour savoir lequel des deux, avant de partir pour l'armée, présiderait les comices pour la nomination des censeurs. (3) On prorogea ensuite le commandement de tous ceux qui étaient aux armées, et l'on maintint dans leurs provinces Tib. Gracchus à Lucérie, où il avait une armée d'esclaves enrôlés volontaires, C. Térentius Varron dans le Picénum, M. Pomponius en Gaule. (4) Des préteurs de l'année précédente, Q. Mucius eut la Sardaigne comme propréteur, M. Valérius le commandement des côtes près de Brundisium, pour surveiller tous les mouvements de Philippe, roi de Macédoine. (5) Le préteur P. Cornélius Lentulus eut le commandement de la Sicile; Otacilius la même flotte qu'il avait eue l'année précédente contre les Carthaginois.

(6) Cette année-là on annonça un grand nombre de prodiges, et plus les hommes simples et religieux y ajoutaient de confiance, plus on en annonçait. À Lanuvium, dans l'intérieur du temple de Junon Sospita, des corbeaux avaient fait leur nid; (7) en Apulie, un palmier vert s'était embrasé; à Mantoue, l'étang que forme le Mincio avait paru ensanglanté; à Calès, il avait plu de la craie, et à Rome, dans le Forum Boarium, il avait plu du sang. (8) Dans la rue Instéius, une source souterraine avait coulé avec tant d'impétuosité que des vases et des tonneaux, qui se trouvaient là, furent entraînés comme par un torrent impétueux. (9) Le feu du ciel tomba sur l'atrium public au Capitole, sur le temple de Vulcain au Champ de Mars, sur une citadelle et sur la voie publique en Sabine, sur un mur et sur une porte à Gabies. (10) D'autres miracles encore avaient été déjà rapportés. La lance de Mars, à Préneste, s'était mise d'elle-même en mouvement; en Sicile un boeuf avait parlé; chez les Marruciniens, un enfant dans le sein de sa mère, s'était écrié: "Io! Triomphe!". À Spolète, une femme avait été changée en homme; à Hadria, on avait vu dans le ciel un autel, et autour, des fantômes d'hommes vêtus de blanc; (11) à Rome même, au sein de la ville, on vit un essaim d'abeilles dans le forum, et quelques personnes affirmèrent qu'elles avaient aperçu des légions armées sur le Janicule, et appelèrent les citoyens aux armes. (12) Toutefois ceux qui étaient sur le Janicule déclarèrent que personne d'autre que ceux qui y habitaient ordinairement n'y avait paru. (13) D'après la réponse des haruspices, on expia ces prodiges par des sacrifices solennels, et l'on adressa des prières à tous les dieux qui recevaient à Rome un culte particulier.

Appel à la solidarité nationale pour l'équipement de la flotte

[XXIV, 11]

(1) Après avoir achevé toutes les cérémonies qui devaient apaiser les dieux, les consuls firent un rapport au sénat sur l'état de la république, sur les opérations de la guerre, sur le nombre des troupes et la position qu'elles occuperaient. (2) Il fut décidé qu'on emploierait dans cette campagne dix-huit légions; les consuls en devaient prendre chacun deux. Il devait y en avoir deux pour la Gaule, deux pour la Sicile, deux pour la Sardaigne, (3) deux sous les ordres du préteur Q. Fabius en Apulie. Tib. Gracchus en commandait deux composées d'esclaves enrôlés volontaires, aux environs de Lucérie. On en laissait une au proconsul C. Térentius dans le Picénum, une à M. Valérius pour le service de la flotte, aux environs de Brindes; deux enfin restaient pour la défense de Rome. (4) Pour atteindre à ce nombre il fallut en créer six nouvelles; (5) les consuls reçurent ordre de les former au plus tôt, et d'équiper une flotte. En comptant les navires qui tenaient la mer sur les côtes de la Calabre, on avait une armée navale de cent cinquante vaisseaux longs.

(6) Lorsque les cadres furent remplis et les cent nouveaux bâtiments lancés à la mer, Q. Fabius convoqua les comices pour la nomination des censeurs. M. Atilius Régulus et P. Furius Philus furent élus. (7) Les bruits d'une guerre en Sicile prenaient de la consistance.

T. Otacilius reçut ordre de s'y rendre avec sa flotte. Comme les matelots manquaient, les consuls, d'après un sénatus-consulte, ordonnèrent "que tous ceux qui, sous la censure de L. Émilius et de C. Flaminius, avaient eu leur fortune ou celle de leur père évaluée de cinquante à cent mille as de cuivre, ou qui, depuis, l'auraient élevée jusqu'à ce taux, fourniraient un matelot avec six mois de paie; (8) de cent à trois cent mille, trois matelots et la solde d'un an; de trois cent mille jusqu'à un million, cinq matelots; au-delà d'un million, sept. Les sénateurs devaient donner huit matelots et un an de paie." (9) Les matelots, recrutés en vertu de ce décret, furent armés et équipés par leurs maîtres, et ils s'embarquèrent avec des vivres pour trente jours; et la flotte romaine, pour la première fois alors, fut montée ainsi par des matelots aux frais des particuliers.

Les forces romaines se concentrent en Campanie et en Sicile

[XXIV, 12]

(1) Ces préparatifs, plus considérables qu'ils ne l'avaient jamais été, effrayèrent surtout les Campaniens, qui craignirent que les Romains ne commencent la campagne par le siège de Capoue. (2) Ils envoyèrent donc prier Hannibal de rapprocher son armée de leur ville, disant "que pour en faire le siège on avait levé à Rome de nouvelles armées; qu'aucune défection, en effet, n'avait irrité les esprits des Romains autant que celle de Capoue." (3) À ces nouvelles, apportées tout en hâte, Hannibal pensa qu'il devait se presser pour ne pas être prévenu par les Romains. Il quitta donc Arpi, et revint s'établir au-dessous de Capoue à son ancien camp du mont Tifate. (4) Il y laissa un corps de Numides et d'Espagnols pour défendre et le camp et Capoue; puis, avec le reste de son armée, il se dirigea vers le lac d'Averne, en apparence pour y faire un sacrifice, mais de fait pour hasarder une tentative sur Putéoli et la garnison de cette ville. (5) Maximus apprend qu'Hannibal a quitté Arpi et qu'il rentre en Campanie. À cette nouvelle il marche nuit et jour, et vient retrouver son armée. (6) Il envoie l'ordre à Tib. Gracchus de partir de Lucérie avec ses troupes, pour se porter sur Bénévent; et au préteur Q. Fabius (c'était le fils du consul), de remplacer Gracchus à Lucérie.

(7) Deux préteurs arrivèrent à cette époque en Sicile, P. Cornélius qui se rendait à l'armée, T. Otacilius qui venait prendre le commandement de la côte maritime et de la flotte. (8) Les autres se rendirent chacun dans leurs départements; ceux dont les pouvoirs avaient été prorogés conservèrent les positions qu'ils avaient occupées l'année précédente.

Situation à Tarente et en Campanie (printemps 214)

[XXIV, 13]

(1) Hannibal était sur les bords de l'Averne lorsqu'il vit arriver près de lui cinq jeunes nobles de Tarente, qu'il avait faits prisonniers, les uns au lac Trasimène, les autres à Cannes, et qu'il avait renvoyés chez eux avec cette générosité qu'il avait montrée envers tous les alliés des Romains. (2) Ils lui annoncent que "reconnaissants de ses bienfaits, ils avaient engagé une grande partie de la jeunesse de Tarente à préférer l'amitié et l'alliance d'Hannibal à celle du peuple romain; qu'ils lui étaient députés pour le prier de s'approcher de Tarente avec son armée, (3) que dès qu'on apercevrait ses enseignes et son camp, la ville se donnerait aussitôt à lui. Les jeunes gens disposaient du peuple, et le peuple de Tarente." (4) Hannibal les comble d'éloges, les accable des promesses les plus pompeuses, et les prie de retourner chez eux pour hâter l'exécution de cette entreprise: "quant à lui, il se trouvera à temps sous leurs murs".

Les Tarentins s'en retournèrent avec cet espoir, (5) et Hannibal lui-même avait le plus grand désir de s'emparer de Tarente; il la voyait puissante, illustre, située sur la côte, et si heureusement pour lui placée en face de la Macédoine. Le roi Philippe, s'il passait en Italie, aborderait à ce port, les Romains étant maîtres de Brindes. (6) Après avoir achevé le sacrifice pour lequel il était venu, et ravagé, pendant son séjour, tout le territoire de Cumes jusqu'au promontoire de Misène, il se porte tout à coup sur Putéoli, pour en écraser par surprise la garnison romaine. (7) Il y avait là six mille hommes, dans une position fortifiée par l'art aussi bien que par la nature. Le Carthaginois y passa trois jours, essayant sur tous les points de surprendre la garnison. Ne pouvant y réussir, il s'avança pour dévaster le territoire de Naples, par colère plutôt que dans l'espoir de s'emparer de la ville.

(8) À l'arrivée d'Hannibal dans le voisinage, le peuple de Nole tenta de se soulever. Depuis longtemps, en effet, il était opposé aux Romains et ennemi de son sénat. Ils envoyèrent donc une députation à Hannibal, avec la promesse positive de livrer la ville. (9) Le consul Marcellus, appelé par les nobles, prévint leur dessein. En un jour il était allé de Calès à Suessula, quoique le passage du Vulturne l'eût retardé de quelques heures. (10) La nuit suivante il fit entrer à Nole six mille piétons et trois cents cavaliers, qui devaient protéger le sénat. (11) Le consul avait donc agi avec la plus grande activité pour s'établir le premier dans Nole. Hannibal, au contraire, hésitait, deux tentatives infructueuses l'ayant rendu moins prompt à s'en rapporter aux habitants de cette ville.

Le proconsul Gracchus prépare l'armée de volontaires au combat

[XXIV, 14]

(1) Vers le même temps le consul Q. Fabius vint faire une tentative sur Casilinum, occupée par une garnison carthaginoise; d'un autre côté, Hannon partit du pays des Bruttiens avec une troupe nombreuse de fantassins et de cavaliers, et Tib. Gracchus de Lucérie: tous deux, comme de concert, se dirigeaient sur Bénévent. (2) Gracchus entra d'abord dans la ville. Ensuite ayant appris qu'Hannon avait campé à trois milles environ, sur les bords du fleuve Calor, et que de là il ravageait la campagne, il sort de la ville, établit son camp à mille pas environ de l'ennemi, (3) et convoque ses soldats en assemblée.

Ses deux légions étaient en grande partie composées d'esclaves enrôlés volontaires. Depuis deux ans ils avaient mieux aimé mériter en silence la liberté, que de la réclamer hautement. Cependant en sortant des quartiers d'hiver, T. Gracchus avait entendu quelques soldats murmurer et demander s'ils ne combattraient jamais comme hommes libres. (4) Il avait donc écrit au sénat, non pas tant ce qu'ils demandaient que ce qu'ils avaient mérité. "Jusqu'à ce jour, disait Gracchus, il les avait trouvés pleins de courage et d'ardeur, et pour être de vrais soldats, il ne leur manquait que d'être libres." (5) Le sénat s'en remit à lui pour faire ce qu'il jugerait dans l'intérêt de la république.

Alors, avant d'en venir aux mains avec l'ennemi, Gracchus leur déclare "que l'instant est venu pour eux de conquérir cette liberté qu'ils avaient longtemps attendue; que le lendemain le combat allait s'engager dans une plaine sans accident de terrain, découverte de tous côtés, où, sans craindre aucune embuscade, le vrai courage déciderait la victoire: (6) que celui qui rapporterait la tête d'un ennemi, il le déclarerait libre à l'instant même; (7) que celui au contraire qui fuirait, il le ferait punir du supplice réservé aux esclaves; chacun d'eux avait sa fortune entre les mains; (8) et ce n'était pas lui seulement qui leur garantissait leur liberté, mais le consul M. Marcellus et le sénat tout entier s'en étaient remis à ce sujet à sa décision." (9) Et il leur lit la lettre du consul et le sénatus-consulte. Alors s'élèvent des cris et d'unanimes acclamations; tous demandent le combat, et le pressent ardemment d'en donner le signal. (10) Gracchus fixe le jour de la bataille au lendemain et renvoie l'assemblée. Les soldats joyeux, ceux-là surtout dont la liberté devait être le prix de leur courage pendant un seul jour, passent le temps qui leur reste à préparer leurs armes.

la liberté en échange d'une tête

[XXIV, 15]

(1) Le lendemain, au signal de la trompette, les premiers de tous ils se réunissent tout prêts, tout armés, devant la tente du général. Au lever du soleil, Gracchus range ses troupes en bataille, et les ennemis acceptent aussitôt le combat; (2) ils avaient dix-sept mille fantassins, en grande partie du Bruttium et de la Lucanie, et douze cents cavaliers, qui, à l'exception de quelques Italiens, étaient presque tous Numides et Maures. (3) On combattit avec ardeur et longtemps. Pendant quatre heures entières la victoire fut indécise; et le plus grand embarras des Romains, ce fut que leur liberté eût été mise au prix d'une tête. (4) En effet, dès qu'un soldat avait tué bravement son ennemi, il perdait son temps à s'efforcer de lui couper la tête au milieu de la mêlée et du tumulte; et puis les plus braves, tenant tous de la main droite une tête, avaient cessé de combattre: les timides seuls et les lâches combattaient encore.

(5) Les tribuns des soldats vinrent informer Gracchus "que, des ennemis qui étaient debout, aucun ne recevait plus de blessures, que les soldats s'occupaient à égorger ceux qui étaient abattus, et portaient à la main non plus leurs épées, mais des têtes humaines." Gracchus leur fait aussitôt donner l'ordre de les jeter toutes et de se précipiter sur l'ennemi; (6) leur courage était assez prouvé, assez éclatant, et les braves étaient assurés de leur liberté. Alors le combat recommença, et la cavalerie aussi fut lancée sur l'ennemi. (7) Les Numides la reçoivent intrépidement, et la mêlée devenant aussi furieuse entre les cavaliers qu'entre les fantassins, la victoire est de nouveau douteuse. Les deux généraux s'écriaient, le Romain, qu'ils n'avaient affaire qu'à des Bruttiens et à des Lucaniens, tant de fois vaincus et soumis par leurs ancêtres; le Carthaginois, qu'ils n'avaient devant eux que des esclaves de Rome, des hommes sortis de prison pour être soldats. (8) Enfin Gracchus déclare à ses troupes "qu'ils n'ont plus à espérer d'être jamais libres, si ce jour-là même les ennemis ne sont défaits et mis en fuite."

Victoire des Romains devant Bénévent

[XXIV, 16]

(1) Ces derniers mots leur inspirent une telle ardeur, que jetant un nouveau cri, et devenus tout à coup d'autres hommes, ils se précipitent avec rage sur l'ennemi, qui ne peut soutenir plus longtemps leur choc. (2) Les premiers rangs des Carthaginois furent d'abord ébranlés, puis les enseignes, puis enfin l'armée tout entière fut culbutée. Dès lors la déroute ne fut plus douteuse. Les Carthaginois se précipitent en fuyant vers leur camp, si troublés et si pleins d'épouvante, qu'aux portes mêmes et derrière les retranchements ils n'opposent aucune résistance. Les Romains, qui les poursuivent, entrent avec eux comme s'ils ne faisaient qu'une seule armée. Renfermés dans l'intérieur du camp, ils ont à livrer une nouvelle bataille.

(3) Le combat étant restreint dans des limites plus étroites, le carnage ne fut que plus affreux. Les captifs l'aidèrent encore. Au milieu du tumulte, ils saisissent des armes, se réunissent en troupe, et frappant par derrière les Carthaginois, leur enlèvent tout moyen de fuir. (4) D'une armée aussi considérable, il s'échappa moins de deux mille hommes, cavaliers pour la plupart, avec leur général à leur tête. Tout le reste fut tué ou pris. On prit aussi trente-huit enseignes. (5) Les vainqueurs perdirent environ deux mille hommes. Tout le butin, excepté les captifs, fut abandonné au soldat. Les bestiaux aussi furent réservés pour les propriétaires qui durent les reconnaître dans les trente jours.

(6) Lorsque l'armée chargée des dépouilles de l'ennemi fut rentrée au camp, quatre mille volontaires environ, qui avaient combattu avec mollesse et n'étaient pas rentrés dans le camp avec les autres, s'étaient, par crainte du châtiment, réfugiés sur une colline non loin du camp. (7) Ramenés le lendemain par les tribuns des soldats, ils arrivent à l'assemblée déjà réunie par les ordres de Gracchus. (8) Le proconsul distribua d'abord aux vieux soldats les récompenses militaires, selon que chacun s'était distingué dans ce combat par son courage et ses services. (9) Quant aux volontaires, il dit "qu'il aimait mieux les louer tous, qu'ils l'eussent ou non mérité, que de punir quelqu'un dans un pareil jour. Qu'il les déclarait donc tous libres, souhaitant que cette mesure fût bonne, utile et heureuse pour la république et pour eux-mêmes."

(10) À ces paroles de grands cris de joie se firent entendre; ils s'embrassaient, se félicitaient, levaient les mains au ciel, souhaitant au peuple romain et à Gracchus toutes sortes de prospérités. Alors Gracchus reprit la parole: (11) "Avant de vous faire tous égaux par les droits de la liberté, je n'ai voulu appliquer à aucun de vous le nom de brave ou de lâche. (12) Maintenant que la république vient d'acquitter sa dette, comme il ne faut pas laisser s'effacer toute distinction entre la bravoure et la lâcheté, je me ferai donner les noms de ceux qui, se sentant coupables d'avoir faibli dans le combat, viennent de se séparer de l'armée. Je les ferai venir l'un après l'autre devant moi, et je les forcerai de me jurer (13) qu'à moins de maladie qui les en empêche, ils ne mangeront et ne boiront que debout pendant toute la durée de leur service. Et cette punition, vous vous y soumettrez sans murmures, si vous réfléchissez qu'il ne peut y avoir de flétrissure plus légère pour votre lâcheté."

(14) Alors il donne le signal de rassembler le bagage, et les soldats, portant et conduisant devant eux leur butin, retournent à Bénévent, en se livrant à tous les transports et à tout l'abandon de la joie, (15) de telle sorte qu'ils semblaient revenir d'une fête, d'un festin, et non point d'un combat. (16) Les Bénéventins sortent en foule à leur rencontre, embrassent les soldats, les félicitent, leur offrent l'hospitalité. (17) Ils avaient tous fait dresser des tables dans les cours de leurs maisons, et ils appelaient les soldats, priant Gracchus de permettre qu'ils vinssent s'y asseoir. Gracchus le permit, mais à condition qu'on mangerait en public. (18) Chaque habitant transporta donc devant sa porte ce qui composait le repas: les volontaires, coiffés du bonnet d'affranchi, la tête couverte de laine blanche, prirent part à ce banquet, les uns couchés, les autres debout, servant et mangeant à la fois. (19) De retour à Rome, Gracchus pensa que le spectacle de cette fête méritait d'être peint dans le temple de la Liberté, construit et inauguré sur le mont Aventin par les soins de son père, lequel y avait employé l'argent produit par les amendes.

L'armée de Marcellus remporte un avantage devant Nole

[XXIV, 17]

(1) Tandis que les choses se passaient ainsi auprès de Bénévent, Hannibal, après avoir ravagé le territoire de Naples, vint camper devant Nole. (2) Dès que le consul fut instruit de son arrivée, il rappela auprès de lui le propréteur Pomponius avec les troupes qui occupaient le camp de Suessula, et se prépara à marcher au-devant de l'ennemi, bien résolu à combattre sans retard. (3) Dans le silence de la nuit, il fait sortir par la porte la plus éloignée de l'ennemi C. Claudius Néron avec l'élite de la cavalerie. Il lui ordonne de passer, sans être aperçu, derrière l'ennemi, de le suivre de près à son insu, et de l'attaquer de dos dès qu'il verrait le combat engagé. (4) Soit qu'il eût fait une fausse marche, soit que le temps lui eût manqué, Néron ne put exécuter ces ordres.

(5) Dans le combat qui fut livré sans lui, les Romains avaient évidemment l'avantage. Mais comme la cavalerie ne parut pas à temps, les plans du général se trouvèrent ainsi dérangés: Marcellus n'osa pas poursuivre les ennemis qui pliaient, et donna le signal de la retraite à son armée victorieuse. (6) On prétend cependant que les ennemis perdirent ce jour-là plus de deux mille hommes; les Romains n'en perdirent pas quatre cents. (7) Vers le coucher du soleil, Néron, après avoir en vain fatigué les chevaux et les hommes par une marche d'un jour et d'une nuit, revint sans avoir même aperçu l'ennemi. Le consul l'accabla de reproches, il lui dit même qu'il avait seul empêché que l'on rendît aux Carthaginois la défaite essuyée à Cannes.

(8) Le lendemain les Romains vinrent se ranger en ligne, mais le Carthaginois avoua tacitement sa défaite en se tenant renfermé dans son camp; et le troisième jour, au milieu de la nuit, perdant tout espoir de s'emparer de Nole après tant de tentatives infructueuses, Hannibal part pour Tarente, qu'il avait l'espoir plus fondé qu'on lui livrerait.

Activité des censeurs

[XXIV, 18]

(1) Et Rome n'agissait pas avec moins d'énergie au-dedans qu'au-dehors. (2) Les censeurs n'ayant pas à affermer de travaux publics puisque le trésor était vide, mirent tous leurs soins à régler les moeurs et à châtier les vices nés de la guerre, comme ces plaies qui couvrent le corps après de longues maladies. (3) Ils citèrent d'abord à leur tribunal ceux qui étaient accusés d'avoir voulu, après la bataille de Cannes, abandonner la république et fuir loin de l'Italie. Le premier de tous était M. Cécilius Métellus, alors questeur. (4) Il reçut ordre, ainsi que ceux qu'on accusait de la même faute, de présenter sa défense. Comme ils ne purent se justifier, les censeurs déclarèrent qu'ils avaient tenu contre la république des conversations et des discours dont le but avait été de former une conjuration pour abandonner l'Italie. (5) Après eux furent cités ces interprètes si habiles à se délivrer de la foi du serment, ces captifs qui, après être partis du camp d'Hannibal, y rentrèrent furtivement, et se crurent alors quittes du serment qu'ils avaient fait d'y revenir. (6) Ceux-là et ceux dont nous avons parlé plus haut furent privés des chevaux que leur fournissait l'état; chassés de leurs tribus, ils devinrent tous simples contribuables.

(7) Ce ne fut pas seulement à la conduite du sénat et des chevaliers que se bornèrent les investigations sévères des censeurs. Sur les registres où étaient inscrits les jeunes gens, ils prirent le nom de ceux qui depuis quatre ans n'avaient pas servi, quoiqu'ils n'eussent aucun motif légitime d'exemption, aucune maladie à alléguer pour excuse. (8) Ils s'en trouva plus de deux mille; ils furent portés aussi parmi les contribuables et tous chassés de leurs tribus. (9) À cette flétrissure des censeurs, qui ne fixait aucun châtiment, vint se joindre un sénatus-consulte plein de rigueur. Il portait que tous ceux que les censeurs avaient notés serviraient à pied et iraient en Sicile rejoindre les débris de l'armée de Cannes, dont le temps de service ne devait cesser que le jour où l'ennemi serait chassé de toute l'Italie.

(10) Les censeurs, à cause de l'épuisement du trésor, n'avaient pas encore passé de marchés pour l'entretien des édifices sacrés, ni pour la fourniture des chevaux destinés aux magistrats curules, ni enfin pour rien de semblable. (11) Ceux qui d'ordinaire se chargeaient de ces sortes de ventes vinrent en foule auprès d'eux, et les engagèrent "à agir en tout comme s'il y avait des fonds dans le trésor; qu'aucun d'eux ne demanderait d'argent avant la fin de la guerre." (12) Bientôt après se réunirent les maîtres de ceux que T. Sempronius avait affranchis auprès de Bénévent. Ils dirent qu'ils avaient été appelés par les triumvirs administrateurs des finances pour en recevoir le prix, mais qu'ils n'accepteraient rien avant que la guerre fût terminée.

(13) Par suite de cette disposition de tout le peuple à venir au secours du trésor épuisé, les fonds des orphelins d'abord, puis ceux des veuves, y furent aussi apportés, (14) et ceux qui en avaient l'administration ne crurent pas pouvoir trouver de lieu de dépôt plus sûr et plus sacré que la foi publique. Aussi, si quelque chose était acheté ou acquis par des orphelins ou des veuves, le questeur en prenait note dans ses comptes. (15) Ce bon vouloir des particuliers passa même de la ville dans le camp. Les chevaliers, les centurions ne voulaient pas de solde, et ils donnaient le nom odieux de mercenaire à celui qui en recevait.

La prise de Casilinum

[XXIV, 19]

(1) Le consul Q. Fabius était campé auprès de Casilinum, qu'occupait une garnison de deux mille Campaniens et de sept cents soldats d'Hannibal. (2) Leur chef était Statius Métius, envoyé par Cn. Magius Atellanus; Magius qui, cette année-là, était le premier magistrat de Campanie, armait indistinctement les esclaves et le peuple dans l'intention d'attaquer le camp romain pendant que le consul porterait toute son attention sur le siège de Casilinum. (3) Fabius s'en aperçut bientôt, et il écrivit à Nole à son collègue "qu'il avait besoin, tandis qu'il assiégeait Casilinum, d'opposer une seconde armée aux Campaniens: (4) qu'il vînt donc lui-même, en laissant à Nole une garnison suffisante, ou bien que, s'il était retenu à Nole, et qu'il y eût encore quelque chose à craindre d'Hannibal, il allait faire venir auprès de lui, de Bénévent, le proconsul T. Gracchus."

(5) À cette nouvelle, Marcellus laisse une garnison de deux mille hommes à Nole, et, avec le reste de l'armée il se rend à Casilinum. À son arrivée, les Campaniens suspendirent le mouvement qu'ils avaient déjà commencé. (6) Ainsi Casilinum fut assiégé par les deux consuls réunis. Les soldats romains, en s'approchant sans précaution des murailles, recevaient de fréquentes blessures et le siège n'avançait pas. Fabius pensait qu'il fallait abandonner cette entreprise peu importante, et toutefois aussi difficile que de plus grandes; en effet des affaires bien autrement sérieuses les appelaient ailleurs. (7) Marcellus, au contraire, soutenait "qu'il y avait, à la vérité, beaucoup de tentatives que ne devaient pas hasarder de grands généraux, mais qui, une fois hasardées, voulaient être achevées, l'influence de la renommée étant, en bien comme en mal, immense;" et il tint bon pour que l'armée ne se retirât pas après un échec.

(8) On approcha donc des murs les mantelets et tous les autres instruments, toutes les autres machines employées à la guerre. Les Campaniens prièrent alors Fabius de permettre qu'ils se retirent, sans être inquiétés, à Capoue; (9) quelques-uns étaient à peine sortis que Marcellus s'empara de la porte par laquelle ils quittaient la ville. D'abord, tous ceux qui se trouvaient auprès de la porte furent massacrés indistinctement; puis les Romains se précipitèrent dans la place, qui fut livrée au carnage. (10) Cinquante Campaniens environ, qui étaient sortis les premiers et qui s'étaient réfugiés auprès de Fabius, parvinrent à Capoue, grâce à sa protection. Ainsi Casilinum fut prise par un coup du hasard, tandis que les assiégés négociaient et hésitaient, tout en demandant à se rendre. (11) Les captifs, Campaniens ou soldats d'Hannibal, furent envoyés à Rome et mis en prison. Quant aux habitants de Casilinum, on les distribua dans les villes voisines et on les mit sous leur surveillance.

Hannibal renonce à prendre Tarente (automne 214)

[XXIV, 20]

(1) À l'instant même où les consuls quittaient Casilinum, Gracchus, qui alors était en Lucanie, détacha quelques cohortes levées dans cette contrée, pour aller piller le territoire ennemi. Le commandement en fut confié au chef des troupes alliées. (2) Elles erraient sans ordre dans les campagnes, lorsque Hannon tomba sur elles et rendit à l'ennemi une défaite égale à peu près à celle qu'il avait essuyée lui-même auprès de Bénévent; et de là il se retira en toute hâte chez les Bruttiens, de peur que Gracchus ne l'atteignît.

(3) Quant aux consuls, Marcellus se retira à Nole d'où il était venu, et Fabius s'avança dans le Samnium pour ravager les campagnes et soumettre de nouveau les villes qui s'étaient révoltées. (4) Les Samnites Caudiens eurent, plus que tous les autres, à souffrir. Leurs champs furent brûlés sur une grande étendue; les hommes, les troupeaux, furent la proie des ennemis; (5) Compultéria, Télésia, Compsa, chez eux, Fagifulae et Orbitanium chez les Lucaniens furent enlevées d'assaut; on attaque Blanda et Aecae dans l'Apulie. (6) Il y eut dans ces villes vingt-cinq mille hommes de pris ou de tués. On y reprit aussi trois cent soixante-dix transfuges: le consul les envoya à Rome, où ils furent battus de verges au Comitium, et précipités de la roche Tarpéienne. (7) Voilà ce que fit Q. Fabius dans l'espace de quelques jours. Marcellus était retenu à Nole par une maladie qui l'empêchait d'agir. (8) En même temps à peu près, le préteur Q. Fabius, qui commandait dans les environs de Lucérie, prenait la ville d'Acuca, et fortifiait son camp auprès d'Ardanaea.

(9) Pendant que les Romains étaient occupés à ces diverses expéditions, Hannibal était déjà parvenu à Tarente, dévastant tout sur son passage; (10) mais, une fois sur le territoire tarentin, les Carthaginois ne s'avancèrent plus en ennemis; ils ne commettaient point de violence, et ne s'écartaient jamais de la route. Il était évident qu'il n'y avait pas là modération de la part des soldats et des chefs, mais bien désir de se concilier les Tarentins. (11) Du reste, il était déjà presque sous les murs de la ville, sans qu'aucun mouvement se fût déclaré, comme il le croyait, à l'approche de son avant-garde. II vint cependant s'établir à mille pas environ de la ville.

(12) Mais, trois jours avant qu'Hannibal se fût rapproché de Tarente, le propréteur, M. Valérius, qui commandait la flotte à Brindes, (13) y avait envoyé M. Livius, lequel avait aussitôt enrôlé l'élite de la jeunesse et placé des postes à toutes les portes, et sur les murs, là où ils étaient nécessaires. Par l'activité qu'il déployait la nuit comme le jour, il enleva aux ennemis ou à ceux de ses alliés dont la fidélité était douteuse, tout moyen de hasarder une tentative. (14) Après y avoir perdu quelques jours, Hannibal, ne voyant aucun de ceux qui étaient venus le trouver auprès du lac d'Averne, et ne recevant d'eux ni message ni lettres sentit bien qu'il s'était confié légèrement à de vaines promesses, et se retira.

(15) Mais alors même il respecta le territoire de Tarente; car, bien que sa feinte douceur lui eût été inutile, il ne renonçait pas à l'espoir d'ébranler leur fidélité. Il se rendit ensuite à Salapia, où il fit venir du blé du territoire de Métaponte et d'Héraclée; l'été était à moitié passé, et ce lieu lui semblait favorable pour y prendre ses quartiers d'hiver. (16) De là il envoya les Numides et les Maures ravager le territoire sallentin et les bois voisins de l'Apulie. Ils n'y firent pas un butin considérable, si l'on en excepte de grands troupeaux de chevaux qu'ils emmenèrent, et dont quatre mille furent partagés entre les cavaliers pour être dressés.

 

 
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