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Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre I - Des origines à la chute de la royauté

3. La fondation de Rome et le règne de Romulus ([I, 6] à [I, 16])

 

Fondation de Rome

[I, 6]

(3) Numitor ainsi replacé sur le trône d'Albe, Romulus et Rémus conçurent l'idée de fonder une ville aux lieux témoins de leurs premiers périls et des soins donnés à leur enfance. La multitude d'habitants dont regorgeaient Albe et le Latium, grossie encore du concours des bergers, faisait espérer naturellement que la nouvelle ville éclipserait Albe et Lavinium. (4) À ces projets d'établissement vient se mêler la soif du pouvoir, mal héréditaire chez eux, et une lutte monstrueuse termine un débat assez paisible dans le principe. Ils étaient jumeaux, et la prérogative de l'âge ne pouvait décider entre eux : ils remettent donc aux divinités tutélaires de ces lieux le soin de désigner, par des augures, celui qui devait donner son nom et des lois à la nouvelle ville, et se retirent, Romulus sur le mont Palatin, Rémus sur l'Aventin, pour y tracer l'enceinte augurale. 

[I, 7]

(1) Le premier augure fut, dit-on, pour Rémus : c'étaient six vautours; il venait de l'annoncer, lorsque Romulus en vit le double, et chacun fut salué roi par les siens; les uns tiraient leur droit de la priorité, les autres du nombre des oiseaux (2) Une querelle s'ensuivit, que leur colère fit dégénérer en combat sanglant; frappé dans la mêlée, Rémus tomba mort. Suivant la tradition la plus répandue, Rémus, par dérision, avait franchi d'un saut les nouveaux remparts élevés par son frère, et Romulus, transporté de fureur, le tua en s'écriant : "Ainsi périsse quiconque franchira mes murailles." (3) Romulus, resté seul maître, la ville nouvelle prit le nom de son fondateur. Le mont Palatin, sur lequel il avait été élevé, fut le premier endroit qu'il eut soin de fortifier. Dans tous les sacrifices qu'il offrit aux dieux, il suivit le rite albain; pour Hercule seulement, il suivit le rite grec tel qu'Évandre l'avait institué. 

Hercule et Cacus

(4) C'est dans cette contrée, dit-on, qu'Hercule, vainqueur de Géryon, amena des boeufs d'une beauté merveilleuse; après avoir traversé le Tibre à la nage, chassant son troupeau devant lui, il s'arrêta sur les rives du fleuve, dans de gras pâturages, pour refaire et reposer ses boeufs; et, lui-même, fatigué de la route, il se coucha sur l'herbe : (5) là, tandis qu'appesanti par le vin et la nourriture, il dormait d'un profond sommeil, un pâtre du canton, nommé Cacus, d'une force redoutable, séduit par la beauté de ces boeufs, résolut de détourner une si riche proie. Mais, comme il craignait qu'en les chassant droit devant lui, leurs traces ne conduisissent leur maître à sa caverne lorsqu'il les chercherait, il choisit seulement les plus beaux, et les saisissant par la queue, il les traîne à reculons dans sa demeure.

(6) Hercule, s'éveillant aux premiers rayons de l'aurore, regarde son troupeau, et s'apercevant qu'il lui en manque une partie, il va droit à la caverne voisine, dans l'idée que les traces y conduiraient. Toutes se dirigeaient en sens contraire, aucune n'allait d'un autre côté : dans le trouble où l'incertitude jetait ses esprits, il s'empresse d'éloigner son troupeau de ces dangereux pâturages. (7) Au moment du départ, quelques génisses marquèrent par des mugissements, comme c'est l'ordinaire, leur regret d'abandonner leurs compagnes; celles que l'antre recelait répondirent, et leur voix attira de ce côté l'attention d'Hercule. Il court à la caverne : Cacus s'efforce de lui en disputer l'entrée, implorant, mais en vain, le secours des bergers; il tombe sous la redoutable massue.

(8) Évandre, venu du Péloponnèse chercher un asile dans ces nouvelles contrées, les gouvernait bien plus par son ascendant que par l'effet d'une autorité réelle. Il devait cet ascendant à la connaissance de l'écriture, merveille toute nouvelle pour ces nations ignorantes des arts; et plus encore à la croyance répandue sur sa mère Carmenta, qu'on regardait comme une divinité, et dont les prédictions, antérieures à l'arrivée de la Sibylle en Italie, avaient frappé ces peuples d'admiration. (9) Attiré par le concours des pasteurs assemblés en tumulte autour de cet étranger, que leurs cris désignaient comme un meurtrier, il apprend en même temps et le crime et la cause qui l'a fait commettre. Puis, frappé de l'air auguste du héros, et de la majesté de sa taille, si supérieure à celle des hommes, il lui demande qui il est. (10) À peine a-t-il appris son nom, celui de son père et de sa patrie : "Fils de Jupiter, Hercule, s'écrie-t-il, je te salue; ma mère, fidèle interprète des dieux, m'a prédit que tu devais augmenter le nombre des habitants de l'Olympe, et qu'en ces lieux s'élèverait en ton honneur un autel destiné à recevoir un jour de la plus puissante nation du monde le nom de Très-Grand, et dont tu réglerais toi-même culte."

(11) Hercule, lui tendant la main, répond qu'il accepte le présage, et que, pour accomplir les destinées, il va dresser un autel et le consacrer. (12) Il choisit alors la plus belle génisse de son troupeau, et le premier sacrifice est offert à Hercule. Les Potitii et les Pinarii, les deux familles les plus considérables du canton, choisis pour ministres du sacrifice, prennent place au banquet sacré. (13) Le hasard fit que les Potitii seuls assistèrent au commencement du festin, et qu'on leur servit la chair de la victime : elle était consommée à l'arrivée des Pinarii, qui prirent part au reste du banquet : c'est l'origine de l'usage, perpétué jusqu'à l'extinction de la famille Pinaria, qui lui interdisait les prémices des victimes. (14) Les Potitii, instruits par Évandre, restèrent pendant plusieurs siècles les ministres de ce culte, jusqu'au moment où, ayant abandonné à des esclaves ces fonctions héréditaires dans leur famille, ils périrent tous en expiation de leur sacrilège. (15) De tous les cultes institués alors par Romulus, ce fut le seul qu'il emprunta aux étrangers : il applaudissait dès lors à cette apothéose du courage, dont les destins lui préparaient l'honneur.

Organisation de Rome et raptus uirginum

[I, 8]

(1) Les cérémonies religieuses régulièrement établies, il réunit en assemblée générale cette multitude dont la force des lois pouvait seule faire un corps de nation, et lui dicta les siennes : (2) et persuadé que le plus sûr moyen de leur imprimer un caractère sacré aux yeux de ces hommes grossiers, c'était de se grandir lui-même par les marques extérieures du commandement, entre autres signes distinctifs qui relevaient sa dignité, il affecta de s'entourer de douze licteurs. (3) On pense qu'il régla ce nombre sur celui des douze vautours qui lui avaient présagé l'empire; mais je partage volontiers le sentiment de ceux qui, retrouvant chez les Étrusques, nos voisins, l'idée première des appariteurs et de cette espèce d'officiers publics, comme celle des chaises curules et de la robe prétexte, pensent que c'est dans leurs coutumes qu'il faut rechercher aussi l'origine de ce nombre. Ils l'avaient adopté parce que les douze peuples qui concouraient à l'élection de leur souverain fournissaient chacun un licteur à son cortège.

(4) Cependant la ville s'agrandissait, et son enceinte s'élargissait chaque jour, mesurée plutôt sur ses espérances de population future que sur les besoins de sa population actuelle. (5) Mais pour donner quelque réalité à cette grandeur, Romulus, fidèle à cette vieille politique des fondateurs de villes qui publiaient que la terre leur avait enfanté des habitants, ouvre un asile dans ce lieu fermé aujourd'hui par une palissade qui se trouve à la descente du Capitole, entre les deux bois. (6) Esclaves ou hommes libres, tous ceux qu'excitent l'amour du changement viennent en foule s'y réfugier. Ce fut le premier appui de notre grandeur naissante. (7) Satisfait des forces qu'il avait conquises, Romulus les soumet à une direction régulière : il institue cent sénateurs, soit que ce nombre lui parût suffisant, soit qu'il n'en trouvât pas plus qui fussent dignes de cet honneur. Ce qui est certain, c'est qu'on les nomma Pères, et ce nom devint leur titre d'honneur; leurs descendants reçurent celui de Patriciens. 

[I, 9]

(1) Déjà Rome était assez puissante pour ne redouter aucune des cités voisines; mais elle manquait de femmes, et une génération devait emporter avec elle toute cette grandeur : sans espoir de postérité au sein de la ville, les Romains étaient aussi sans alliances avec leurs voisins. (2) C'est alors que, d'après l'avis du sénat, Romulus leur envoya des députés, avec mission de leur offrir l'alliance du nouveau peuple par le sang et par les traités. (3) "Les villes, disaient-ils, comme toutes les choses d'ici-bas, sont chétives à leur naissance; mais ensuite, si leur courage et les dieux leur viennent en aide, elles se font une grande puissance et un grand nom. (4) Vous ne l'ignorez pas, les dieux ont présidé à la naissance de Rome, et la valeur romaine ne fera pas défaut à cette céleste origine; vous ne devez donc pas dédaigner de mêler avec des hommes comme eux votre sang et votre race." (5) Nulle part la députation ne fut bien accueillie, tant ces peuples méprisaient et redoutaient à la fois pour eux et leurs descendants cette puissance qui s'élevait menaçante au milieu d'eux. La plupart demandèrent aux députés en les congédiant : "Pourquoi ils n'avaient pas ouvert aussi un asile pour les femmes ? Qu'au fond c'était le seul moyen d'avoir des mariages sortables."

(6) La jeunesse romaine ressentit cette injure, et tout sembla dès lors faire présager la violence. Mais, dans la pensée de ménager une circonstance et un lieu favorables, Romulus dissimule son ressentiment et prépare, en l'honneur de Neptune Équestre, des jeux solennels, sous le nom de Consualia. (7) Il fait annoncer ce spectacle dans les cantons voisins, et toute la pompe que comportaient l'état des arts et la puissance romaine se déploie dans les préparatifs de la fête, afin de lui donner de l'éclat et d'éveiller la curiosité. (8) Les spectateurs y accourent en foule, attirés aussi par le désir de voir la nouvelle ville, surtout les peuples les plus voisins : les Céniniens, les Crustuminiens, les Antemnates. (9) La nation entière des Sabins vint aussi avec les femmes et les enfants. L'hospitalité leur ouvrit les demeures des Romains, et à la vue de la ville, de son heureuse situation, de ses remparts, du grand nombre de maisons qu'elle renfermait, déjà ils s'émerveillaient de son rapide accroissement. (10) Arrive le jour de la célébration des jeux. Comme ils captivaient les yeux et les esprits, le projet concerté s'exécute : au signal donné, la jeunesse romaine s'élance de toutes parts pour enlever les jeunes filles. (11) Le plus grand nombre devient la proie du premier ravisseur. Quelques-unes des plus belles, réservées aux principaux sénateurs, étaient portées dans leurs maisons par des plébéiens chargés de ce soin. (12) Une entre autres, bien supérieure à ses compagnes par sa taille et sa beauté, était, dit-on, entraînée par la troupe d'un sénateur nommé Talassius; comme on ne cessait de leur demander à qui ils la conduisaient, pour la préserver de toute insulte, ils criaient en marchant : 'à Talassius'. C'est là l'origine de ce mot consacré dans la cérémonie des noces.

(13) La terreur jette le trouble dans la fête, les parents des jeunes filles s'enfuient frappés de douleur; et, se récriant contre cette violation des droits de l'hospitalité, invoquent le dieu dont le nom, en les attirant à la solennité de ces jeux, a couvert un perfide et sacrilège guet-apens. (14) Les victimes du rapt partagent ce désespoir et cette indignation; mais Romulus lui-même, les visitant l'une après l'autre, leur représente "que cette violence ne doit être imputée qu'à l'orgueil de leurs pères, et à leur refus de s'allier, par des mariages, à un peuple voisin; que cependant c'est à titre d'épouses qu'elles vont partager avec les Romains leur fortune, leur patrie, et s'unir à eux par le plus doux noeud qui puisse attacher les mortels, en devenant mères. (15) Elles doivent donc adoucir leur ressentiments, et donner leurs coeurs à ceux que le sort a rendus maîtres de leurs personnes. Souvent le sentiment de l'injure fait place à de tendres affections. Les gages de leur bonheur domestique sont d'autant plus assurés, que leurs époux, non contents de satisfaire aux devoirs qu'impose ce titre, s'efforceront encore de remplacer auprès d'elles la famille et la patrie qu'elles regrettent." (16) À ces paroles se joignaient les caresses des ravisseurs, qui rejetaient la violence de leur action sur celle de leur amour, excuse toute puissante sur l'esprit des femmes. 

Les guerres qui s'ensuivent directement, surtout celle des Sabins

[1, 10]

(1) Elles avaient déjà oublié leur ressentiment lorsque leurs parents, plus irrités que jamais, et les habits souillés en signe de deuil, soulevaient les cités par leurs plaintes et leurs larmes. Leur désespoir ne se renfermait pas dans les murs de leurs villes; ils se rassemblaient de toutes parts auprès de Titus Tatius, roi des Sabins. Le nom de ce prince, objet de la plus haute considération dans ces contrées, attirait autour de lui leurs envoyés. (2) Les Céniniens, les Crustuminiens et les Antemnates étaient au nombre des peuples qu'avait frappés cet outrage. Tatius et ses Sabins leur parurent trop lents à prendre un parti. Ces trois peuples se liguent pour une guerre commune. (3) Mais les Crustuminiens et les Antemnates étaient encore trop lents à se lever au gré des Céniniens et de leur impatiente vengeance; seuls avec leurs propres forces, ceux-ci envahissent le territoire romain. (4) Mais, tandis qu'ils pillaient en désordre, Romulus vient à leur rencontre avec son armée. La facile victoire qu'il remporte leur apprend que la colère sans la force est toujours impuissante. Il enfonce leurs rangs, les disperse, les poursuit dans leur déroute, tue de sa main leur roi, et se pare de sa dépouille. La mort du chef ennemi lui livre la ville.

(5) Au retour de son armée victorieuse, Romulus, qui, au génie des grandes choses alliait l'habileté qui les fait valoir, suspend à un trophée disposé à cet effet les dépouilles du roi mort et monte au Capitole. Là il les dépose au pied d'un chêne consacré par la vénération des pasteurs, en fait hommage à Jupiter, et trace l'enceinte d'un temple qu'il dédie à ce dieu sous un nouveau surnom : (6) "Jupiter Férétrien, s'écrie-t-il, c'est à toi qu'un roi vainqueur offre ces armes d'un roi, et qu'il consacre le temple dont sa pensée vient de mesurer l'enceinte. Là seront déposées les dépouilles opimes que mes descendants, vainqueurs à mon exemple, arracheront avec la vie aux rois et aux chefs ennemis." (7) Telle est l'origine de ce temple, le premier dont Rome ait vu la consécration. Dans la suite, les dieux ont voulu ratifier la prédiction des fondateurs du temple, en appelant ses descendants à l'imiter, sans permettre toutefois qu'elle s'étendît trop, de peur de s'avilir. Dans un si grand nombre d'années remplies par tant de guerres, on ne remporta que deux fois les dépouilles opimes, tant la fortune fut avare de cet honneur. 

[I, 11]

(1) Tandis que les Romains sont à ces solennités religieuses, les Antemnates saisissent l'occasion, et envahissent leurs frontières abandonnées. Une légion romaine s'y porte aussitôt, et surprend l'ennemi dispersé dans la campagne. (2) À la première attaque, au premier cri de guerre, les Antemnates sont mis en fuite, leur ville prise. Alors Hersilie, femme de Romulus, obsédée par les supplications de ses compagnes enlevées, profite de l'enivrement d'une double victoire pour supplier le vainqueur de faire grâce à leurs parents et de les recevoir dans la ville naissante : c'est le moyen, suivant elle, d'en accroître la puissance par la concorde. Elle l'obtient sans peine.

(3) Il marche ensuite contre les Crustuminiens qui venaient l'attaquer; mais ceux-ci, déjà découragés par les revers de leurs alliés, font encore moins de résistance. (4) On envoya des colonies chez les uns et chez les autres. Il se présenta plus de monde pour Crustuminum, à cause de la fertilité du pays; tandis que de fréquentes émigrations, de la part surtout des familles appartenant aux femmes enlevées, venaient de ces lieux mêmes grossir la population romaine.

(5) La dernière guerre fut celle des Sabins; ce fut aussi la plus sérieuse : car ce peuple agit sans précipitation ni colère; ses menaces ne précédèrent point l'agression; (6) mais sa prudence ne rejeta point les conseils de la ruse. Spurius Tarpéius commandait dans la citadelle de Rome. Sa fille, gagnée par l'or de Tatius, promet de livrer la citadelle aux Sabins. Elle en était sortie par hasard, allant puiser de l'eau pour les sacrifices. (7) À peine introduits, les Sabins l'écrasent sous leurs armes, et la tuent, soit pour faire croire que la force seule les avait rendus maîtres de ce poste, soit pour prouver que nul n'est tenu à la fidélité envers un traître. (8) On ajoute que les Sabins, qui portaient au bras gauche des bracelets d'or d'un poids considérable et des anneaux enrichis de pierres précieuses, étaient convenus de donner, pour prix de la trahison, les objets qu'ils avaient à la main gauche. De là, ces boucliers qui, au lieu d'anneaux d'or, payèrent la jeune fille, et qui l'ensevelirent sous leur masse. (9) Selon d'autres, en demandant aux Sabins les ornements de leurs mains gauches, Tarpéia entendait effectivement parler de leurs armes; mais les Sabins, soupçonnant un piège, l'écrasèrent sous le prix même de sa trahison. 

[I, 12]

(1) Quoi qu'il en soit, ils étaient maîtres de la citadelle. Le lendemain, l'armée romaine, rangée en bataille, couvrait de ses lignes l'espace compris entre le mont Palatin et le mont Capitolin. Les Sabins n'étaient point encore descendus à sa rencontre, que, déjà transportée par la colère et le désir de reprendre la place, elle s'élance sur la hauteur. (2) De part et d'autre les chefs animent les combattants; c'était Mettius Curtius du côté des Sabins; du côté des Romains, Hostus Hostilius. Celui-ci, placé au premier rang et malgré le désavantage de la position, soutenait les siens de son audace et de son courage; (3) mais à peine fut-il tombé que l'armée romaine plie tout à coup, et est refoulée jusqu'à la vieille porte du Palatin. Entraîné lui-même par la multitude des fuyards, Romulus élève ses armes vers le ciel : (4) "Jupiter, s'écrie-t-il, c'est pour obéir à tes ordres, c'est sous tes auspices sacrés qu'ici, sur le mont Palatin, j'ai jeté les fondements de cette ville. Déjà la citadelle, achetée par un crime, est au pouvoir des ennemis; eux-mêmes ont franchi le milieu du vallon, et ils avancent jusqu'ici. (5) Mais toi, père des dieux et des hommes, repousse-les du moins de ces lieux; rends le courage aux Romains, et suspends leur fuite honteuse. (6) Ici même je te voue, sous le nom de Jupiter Stator, un temple, éternel monument du salut de Rome préservée par la protection puissante."

(7) Il dit; et, comme il eût senti sa prière exaucée : "Romains, poursuit-il, Jupiter très bon et très grand ordonne que vous vous arrêtiez et que vous retourniez au combat." Ils s'arrêtent en effet, comme s'ils obéissaient à la voix du ciel. Romulus vole aux premiers rangs. (8) Mettius Curtius, à la tête des Sabins, était descendu de la citadelle, et avait poursuivi les Romains en déroute dans toute la longueur du Forum. Il approchait déjà de la porte du Palatin, et criait : "Ils sont vaincus, ces hôtes perfides, ces lâches ennemis; ils savent enfin qu'autre chose est d'enlever des jeunes filles, autre chose de combattre des hommes." (9) À cette orgueilleuse apostrophe, Romulus fond sur Mettius avec une troupe de jeunes gens des plus braves. Mettius alors combattait à cheval; il devenait plus facile de le repousser. On le poursuit, et le reste de l'armée romaine, enflammé par l'audace de son roi, enfonce les Sabins à leur tour. (10) Mettius, dont le cheval est épouvanté par le tumulte de la poursuite, est jeté dans un marais. Le danger qui environne un personnage aussi important attire l'attention des Sabins. Les uns le rassurent et l'appellent, les autres l'encouragent, et Mettius parvient enfin à s'échapper. Le combat recommence au milieu du vallon; mais là encore l'avantage demeure aux Romains. 

[I, 13]

(1) Alors, les mêmes Sabines, dont l'enlèvement avait allumé la guerre, surmontent, dans leur dés, espoir, la timidité naturelle à leur sexe, se jettent intrépidement, les cheveux épars et les vêtements en désordre, entre les deux armées et au travers d'une grêle de traits : elles arrêtent les hostilités, enchaînent la fureur, (2) et s'adressant tantôt à leurs pères, tantôt à leurs époux, elles les conjurent de ne point se souiller du sang sacré pour eux, d'un beau-père ou d'un gendre, de ne point imprimer les stigmates du parricide au front des enfants qu'elles ont déjà conçus, de leurs fils à eux et de leurs petits-fils. (3) "Si cette parenté, dont nous sommes les liens, si nos mariages vous sont odieux, tournez contre nous votre colère : nous la source de cette guerre, nous la cause des blessures et du massacre de nos époux et de nos pères, Nous aimons mieux périr que de vivre sans vous, veuves ou orphelines." (4) Tous ces hommes, chefs et soldats, sont émus; ils s'apaisent tout à coup et gardent le silence. Les chefs s'avancent pour conclure un traité, et la paix n'est pas seulement résolue, mais aussi la fusion des deux états en un seul. Les deux rois se partagent l'empire, dont le siège est établi à Rome. (5) Ainsi, la puissance de Rome est doublée. Mais, pour qu'il soit accordé quelque faveur aux Sabins, les Romains prennent, de la ville de Cures, le surnom de Quirites. En témoignage de ce combat, le marais dans lequel Curtius faillit d'être englouti avec son cheval fut appelé le lac Curtius.

(6) Une paix si heureuse, succédant tout à coup à une guerre si déplorable, rendit les Sabines plus chères à leurs maris, à leurs pères, et surtout à Romulus. Aussi, lorsqu'il partagea le peuple en trente curies, il les désigna par le nom de ces femmes. Leur nombre surpassait sans doute le nombre des curies; mais la tradition ne nous a point appris si leur âge, leur rang, celui de leurs maris, ou le sort enfin décidèrent de l'application de ces noms. (8) À la même époque, on créa trois centuries de cavaliers, appelées, la première, Ramnenses, de Romulus; la seconde, Titienses, de Titus Tatius. On ignore l'étymologie de Lucères, nom de la troisième. Depuis ce temps, non seulement la souveraineté fut commune aux deux rois, mais elle fut aussi exercée par l'un et l'autre dans une parfaite harmonie. 

Les dernières guerres de Romulus (Lavinates, Véiens, Fidénates)

[I, 14]

(1) Quelques années après, des parents du roi Tatius ayant maltraité les députés des Laurentins, ce peuple réclama, au nom du droit des gens. Mais le crédit et les sollicitations des agresseurs eurent plus de succès auprès de Tatius; (2) aussi leur châtiment retomba-t-il sur sa tête. Il était venu à Lavinium pour la célébration d'un sacrifice solennel; il y fut tué au milieu d'un soulèvement. (3) Romulus ne montra pas, dit-on, dans cette circonstance, toute la douleur convenable, soit qu'il n'eût partagé le trône qu'avec regret, soit que le meurtre de Tatius lui parût juste. Il ne prit pas même les armes; seulement, comme l'outrage reçu par les députés voulait être expié, Rome et Lavinium renouvelèrent leur traité.

(4) Mais cette paix inspira peu de confiance. Un autre orage plus menaçant éclatait presque aux portes de Rome. Le voisinage de cette ville, dont la puissance grandissait chaque jour, inquiétait les Fidénates : sans attendre qu'elle réalise tout ce que semble lui promettre l'avenir, ils commencent à lui faire la guerre. Ils arment leur jeunesse, la mettent en campagne, et dévastent le territoire qui est entre Rome et Fidènes. (5) De là, ils tournent vers la gauche, parce que, sur la droite, le Tibre leur opposait un obstacle, et sèment devant eux la terreur et la désolation. Les habitants des campagnes fuient en tumulte, et leur retraite précipitée dans Rome y porte la première nouvelle de l'invasion.

(6) L'imminence du péril n'admettait pas de retard. Romulus alarmé fait sortir son armée, et vient camper à un mille de Fidènes. (7) Là, il laisse une garde peu nombreuse et se remet en marche avec toutes ses forces. Il en met une partie en embuscade dans des lieux couverts de broussailles, et marche ensuite avec la plus grande partie de son infanterie et toute sa cavalerie. Ce mouvement, opéré avec une apparence de bravade et de désordre, et les incursions de la cavalerie jusque sous les portes de la ville, attirent les ennemis : c'était là ce que voulait Romulus. Des charges de cavalerie rendirent aussi plus naturelle la fuite que ses soldats devaient simuler. (8) En effet, tandis que les cavaliers exécutent leurs manoeuvres, et qu'ils semblent hésiter entre le désir de fuir et l'honneur de combattre, l'infanterie lâche pied : aussitôt les Fidénates ouvrent les portes de la ville; ils affluent dans la plaine, se jettent en masse sur l'armée romaine, la chassent devant eux, et entraînés par l'ardeur d'une poursuite acharnée, s'engagent dans l'embuscade. (9) Mais les soldats romains qui l'occupent se montrent tout à coup, fondent sur eux, et les prennent en flanc; ceux-ci s'épouvantent, et la réserve du camp, qui s'ébranle à son tour, accroît encore leur frayeur. L'effroi, qui les frappe de toutes parts, laisse à peine à Romulus et à sa cavalerie le temps de faire volte face; ils prennent la fuite; (10) et, comme cette fuite est réelle, ils regagnent la ville avec plus de désordre et de précipitation qu'ils n'en avaient mis à poursuivre ceux qui ne fuyaient que par artifice; (11) mais ils n'échappent pas davantage à l'ennemi. Les Romains les poussent l'épée dans les reins, et, avant qu'on ait eu le temps de refermer les portes, vainqueurs et vaincus entrent ensemble, comme si ce n'était qu'une seule armée. 

[1, 15]

(1) Des Fidénates, le feu de la guerre se communique aux Véiens, lesquels, descendant comme eux des Étrusques, étaient liés à leur cause par la communauté d'origine, et par l'irritation de leur défaite; outre qu'ils songeaient avec crainte à la proximité d'une ville dont les armes devaient menacer tous les voisins. Ils se répandent donc sur ses frontières, plutôt pour s'y livrer au pillage, que pour y faire une guerre en règle. (2) C'est pourquoi ils ne se fixent nulle part, ils n'attendent pas l'armée romaine. Chargés de butin, ils reviennent à Véies. Les Romains, trouvant la campagne libre, se disposent néanmoins à provoquer un engagement décisif; ils passent le Tibre, et plantent leur camp. (3) À la nouvelle de leurs préparatifs et de leur marche sur la ville, les Véiens sortent et s'avancent à la rencontre de l'ennemi. Il leur semblait plus convenable de vider la querelle dans une bataille, que de se retrancher derrière des murs, et d'y combattre pour leurs foyers.

(4) Dans cette circonstance, Romulus, dédaignant la ruse, vainquit avec l'aide seule de ses troupes déjà vieillies au métier de la guerre. Il poursuivit les Véiens battus jusque sous leurs remparts, et n'essaya pas d'assiéger leur ville, doublement forte par ses murailles et par sa position. Il revint sur ses pas, et ravagea le pays, plutôt pour user de représailles que par amour du butin. (5) Ces dévastations, jointes à la perte de la bataille, achevèrent la ruine des Véiens. Ils envoient des députés à Rome, et proposent la paix; une trêve de cent ans leur est accordée, mais au prix d'une partie de leur territoire. 

La mort de Romulus

[I, 15]

(6) Tels sont, à peu près, les événements militaires et politiques du règne de Romulus. Ils s'accordent assez avec l'opinion de la divinité de l'origine de ce roi, et ce qu'on a écrit touchant les circonstances miraculeuses qui suivirent sa mort. Rien ne dément cette opinion, surtout si l'on considère le courage que déploya Romulus dans le rétablissement de son aïeul sur le trône, son projet gigantesque de bâtir une ville, et son habileté à la rendre forte, par le parti qu'il savait tirer, soit de la paix, soit de la guerre. (7) Cette force, qu'elle recevait de son fondateur, Rome en usa si bien, que, depuis ces premiers progrès, sa tranquillité, pendant quarante ans, ne fut jamais troublée. (8) Romulus fut cependant plus cher au peuple qu'au sénat; mais il était surtout aimé des soldats. Il en avait choisi trois cents, qu'il appelait Célères, pour garder sa personne, et il les conserva toujours, non seulement durant la guerre, mais encore pendant la paix. 

[I, 16]

(1) Après ces immortels travaux, et un jour qu'il assistait à une assemblée, dans un lieu voisin du marais de la Chèvre, pour procéder au recensement de l'armée, survint tout à coup un orage, accompagné d'éclats de tonnerre, et le roi, enveloppé d'une vapeur épaisse, fut soustrait à tous les regards. Depuis, il ne reparut plus sur la terre. (2) Quand l'effroi fut calmé, quand à l'obscurité profonde eut succédé un jour tranquille et pur, le peuple romain, voyant la place de Romulus inoccupée, semblait peu éloigné de croire au témoignage des sénateurs, lesquels, demeurés près du roi, affirmaient que, pendant l'orage, il avait été enlevé au ciel. Cependant, comme si l'idée d'être à jamais privé de son roi l'eût frappé de terreur, il resta quelque temps dans un morne silence. (3) Enfin, entraînés par l'exemple de quelques-uns, tous, par acclamations unanimes, saluent Romulus, dieu, fils de dieu, roi et père de la ville romaine. Ils lui demandent; ils le conjurent de jeter toujours un regard propice sur sa postérité. (4) Je suppose qu'il ne manqua pas alors de gens qui accusèrent tout bas les sénateurs d'avoir déchiré Romulus de leurs propres mains; le bruit même s'en répandit, mais n'acquit jamais beaucoup de consistance. Cependant l'admiration qu'il inspirait, et la terreur du moment, ont consacré le merveilleux de la première tradition.

(5) On ajoute que la révélation d'un citoyen vint fortifier encore cette croyance. Tandis que Rome inquiète déplorait la mort de son roi, et laissait percer sa haine contre les sénateurs, Proculus Julius, autorité grave, dit-on, même à propos d'un fait aussi extraordinaire, s'avança au milieu de l'assemblée, et dit : (6) "Romains, le père de cette ville, Romulus, descendu tout à coup des cieux, m'est apparu ce matin au lever du jour. Frappé de terreur et de respect, je restais immobile, tâchant d'obtenir de lui, par mes prières, qu'il me permît de contempler son visage : (7) "Va, dit-il, annoncer à tes concitoyens que cette ville que j'ai fondée, ma Rome, sera la reine du monde; telle est la volonté du ciel. Que les Romains se livrent donc tout entiers à la science de la guerre; qu'ils sachent, et après eux leurs descendants, que nulle puissance humaine ne pourra résister aux armes de Rome." À ces mots, continua Proculus, il s'éleva dans les airs. (8) Il est étonnant qu'on ait si facilement ajouté foi à un pareil discours, et aussi combien la certitude de l'immortalité de Romulus adoucit les regrets du peuple et de l'armée. 

 

 


 


 

 
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