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Mythologie
 
 

 

 

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Histoire Romaine - traduction M. Nisard (1864)

Livre XXVI - Rome, 211 à 210

 

2. La guerre d'Espagne - fin 211 à 210 ([XXVI, 17] à [XXVI, 20])

 

Comment Hasdrubal mystifia Néron

[XXVI, 17]

(1) Les sénateurs romains, délivrés des soins qu'avaient exigés les affaires de Capoue, donnent à C. Néron six mille hommes d'infanterie et trois cents cavaliers à son choix, pris dans les deux légions qu'il avait eues sous ses ordres pendant le siège; on y joint un même nombre de fantassins et huit cents cavaliers tirés des Latins auxiliaires; (2) il devait embarquer cette armée à Pouzzoles, et la conduire en Espagne. Arrivé à Tarragone, il fait débarquer ses troupes, met sa flotte en sûreté, et, pour augmenter le nombre de ses soldats, il arme les gens mêmes de l'équipage. (3) S'avançant jusqu'à l'Èbre, il reçoit de Tib. Fontéius et de L. Marcius l'armée qu'ils commandaient; il se dirige ensuite vers l'ennemi.

(4) Hasdrubal, fils d'Hamilcar, était campé près des Pierres-Noires, chez les Orétans, un lieu-dit situé entre les villes d'Iliturgi et de Mentissa. Héron s'empare de l'entrée de ce défilé. (5) Hasdrubal, dans la crainte de se voir bloqué, envoie un parlementaire promettre que, si on le laisse se retirer, il quittera l'Espagne avec toute son armée, (6) proposition que le général romain accepte avec joie. Hasdrubal demande alors pour le lendemain une conférence où les Romains dicteront les conditions auxquelles on leur livrera les citadelles des villes, et fixeront le jour où les garnisons, sans fraude de part ou d'autre, en sortiront avec armes et bagages. (7) Aussitôt qu'il a obtenu ce point, il ordonne à ses soldats de tirer, dès la chute du jour et pendant tout le reste de la nuit, les plus lourds bagages de l'armée, et de les faire sortir du défilé par tous les moyens possibles. (8) On eut grand soin de ne laisser sortir cette nuit-là que peu de monde, un petit nombre pouvant à la fois et tromper plus facilement les ennemis à la faveur du silence, et s'échapper par des sentiers étroits et difficiles.

(9) L'entrevue eut lieu le jour suivant; mais Hasdrubal réussit, en perdant ce jour en paroles et en écritures étrangères à l'objet de l'entrevue, à la faire remettre au lendemain. (10) Une nuit, ajoutée à la précédente, donna le temps à d'autres soldats de s'échapper, et dans le jour qui suivit, rien ne fut encore terminé: (11) plusieurs jours furent ainsi employés à discuter ouvertement les conditions, et plusieurs nuits à cacher la retraite des Carthaginois. Lorsque la plus grande partie de son armée eut quitté le camp, Hasdrubal revient sur ce dont on était précédemment convenu, (12) et la bonne foi diminuant avec la crainte du péril, on s'entendait de moins en moins.

Déjà presque toute l'infanterie était sortie du défilé, lorsque, au point du jour, un brouillard épais le couvrit tout entier ainsi que les plaines environnantes. Voulant profiter de cette circonstance, Hasdrubal envoie prier Néron de remettre l'entrevue au lendemain, la religion interdisant ce jour-là aux Carthaginois toute occupation sérieuse. (13) Cette ruse ne fit naître aucun soupçon, et le délai fut accordé; aussitôt Hasdrubal sort de son camp avec sa cavalerie et ses éléphants, et gagne sans bruit une position avantageuse. (14) Vers la quatrième heure, le soleil dissipe le brouillard, le jour paraît, et les Romains voient le camp des ennemis évacué. (15) Claudius, reconnaissant enfin la ruse du Carthaginois, et se voyant dupe, s'élance à sa poursuite, dans l'intention de lui livrer bataille. (16) Mais l'ennemi refusait le combat. Il y eut pourtant quelques escarmouches entre l'arrière-garde des Carthaginois et les éclaireurs de l'armée romaine.

Élection de Scipion à la tête de l'armée d'Espagne

[XXVI, 18]

(1) Cependant ceux des peuples d'Espagne qui, après la défaite des Scipions, avaient abandonné Rome, ne revenaient point sous ses lois; il n'y avait non plus aucune nouvelle défection. (2) Le sénat et le peuple romains, depuis la réduction de Capoue, tenaient leur attention fixée sur l'Espagne autant que sur l'Italie. On voulait renforcer l'armée, y envoyer un général; (3) mais on ne savait à qui donner cette mission. Deux grands généraux ayant succombé là dans l'espace de trente jours, on voulait pourvoir à leur remplacement avec un soin tout particulier. (4) Comme les avis étaient partagés entre plusieurs personnages, le sénat finit par renvoyer aux comices du peuple l'élection du proconsul destiné pour l'Espagne, et les consuls fixèrent le jour de l'assemblée.

(5) D'abord on s'était attendu que ceux qui se croiraient dignes d'un commandement si important offriraient leurs noms: cet espoir que l'on vit trompé renouvela la douleur du désastre qu'on avait éprouvé et les regrets qu'avait fait naître la perte des deux généraux. (6) Plongé dans cette affliction, sans résolution arrêtée, le peuple n'en descendit pas moins au Champ de Mars le jour de l'assemblée; tous les yeux sont tournés vers les magistrats, vers les principaux citoyens qui se regardent les uns les autres; on déplore que la situation des affaires de la république soit tellement perdue et désespérée que personne n'ose accepter le commandement de l'Espagne.

(7) Tout à coup P. Cornélius, fils de celui qui avait péri dans cette contrée, jeune homme âgé d'environ vingt-quatre ans, déclare qu'il brigue cet honneur, et s'arrête sur un lieu élevé, d'où l’on pouvait l'apercevoir. (8) Tous les regards se fixent sur lui; des cris et la faveur du peuple semblent dès ce moment présager à son commandement des succès et des victoires. (9) Lorsque ensuite on alla aux voix, le suffrage unanime des centuries et de chaque citoyen conféra à P. Scipion le commandement de l'armée d'Espagne. (10) Mais quand l'élection fut terminée, que les transports et l'ardeur de l'enthousiasme furent refroidis, le silence régna dans l'assemblée; cette triste réflexion s'empara des esprits: qu'avait-on fait? la faveur ne l'avait-elle pas emporté sur la raison? (11) L'âge de Scipion causait surtout ce repentir: plusieurs redoutaient aussi la fortune, le nom de sa maison, en le voyant partir, couvert du deuil de deux parents, pour une province où il aurait à combattre au milieu des tombeaux d'un père et d'un oncle.

Arrivée de Scipion en Espagne

[XXVI, 19]

(1) Scipion, voyant l'inquiétude et le repentir succéder dans l'esprit des Romains à l'enthousiasme qui l'avait d'abord accueilli, fait aussitôt convoquer l'assemblée, et y parle de son âge, du commandement qu'on lui a confié, de la guerre qu'il va diriger, avec tant de noblesse et de hauteur de vues (2) qu'il ranime et renouvelle l'ardeur déjà éteinte de ses concitoyens, et les remplit d'une confiance supérieure à celle qu'inspirent d'ordinaire les promesses des hommes et les raisonnements fondés sur la confiance. (3) En effet, Scipion n'était pas moins admirable par des talents véritables que par le grand art de les faire valoir, qu'il cultiva dès sa jeunesse. (4) Ce qu'il proposait à la multitude, ou lui avait apparu dans une vision nocturne, ou lui était suggéré par une inspiration divine, soit que la superstition eût un certain empire sur son esprit, soit qu'il voulût assurer la prompte exécution de ses ordres et de ses desseins, en leur donnant le caractère d'un oracle. (5) Ce fut pour disposer de loin les esprits à cette croyance superstitieuse, que, du jour où il prit la robe virile, il ne fit aucune action, publique ou particulière, sans aller au Capitole, sans entrer dans le sanctuaire, et sans y rester quelque temps seul, caché à tous les regards.

(6) Cette habitude qu'il observa toute sa vie, soit par politique, soit sans dessein particulier, fit croire à quelques-uns qu'il était issu du sang des dieux, (7) et remit en crédit, avec des circonstances non moins ridicules, la fable autrefois répandue au sujet d'Alexandre le Grand. On attribuait sa naissance à un serpent monstrueux, qu'on voyait souvent dans la chambre de sa mère, et qui tout à coup s'échappait et disparaissait à l'arrivée de ceux qui entraient chez elle. (8) Scipion lui-même ne porta jamais atteinte à l'autorité de ces prodiges; il eut plutôt l'habileté de l'augmenter encore, en ne les niant comme en ne les affirmant jamais. Beaucoup de traits du même genre, les uns vrais, les autres supposés, avaient fait passer en faveur de ce jeune homme les bornes de l'admiration, (9) et ce fut cette superstition qui détermina Rome à confier à son âge encore tendre des intérêts si graves, un commandement si important.

(10) Aux débris de l'ancienne armée d'Espagne et aux renforts partis de Pouzzoles avec C. Néron, on ajouta dix mille hommes d'infanterie et mille chevaux, et on donna à Scipion Junius Silanus, en qualité de propréteur, pour l’aider à faire campagne. (11) Le général partit ainsi de l'embouchure du Tibre avec une flotte de trente galères, toutes à cinq rangs de rames; et, après avoir longé les côtes de la mer de Toscane et les Alpes, doublé le golfe de Lyon et le promontoire des Pyrénées, il débarqua ses troupes à Empories, ville grecque, dont les habitants étaient originaires de la Phocée.

(12) Là, il ordonna à ses vaisseaux de le suivre par mer et se rendit lui-même par terre à Tarragone, où il tint une assemblée des députations de tous les peuples alliés qui, au premier bruit de son arrivée, étaient accourues de toutes les parties de l'Espagne. (13) Il fit tirer ses bâtiments à sec, et renvoya quatre galères de Marseille, qui l'avaient escorté pour lui faire honneur. (14) Dans ses audiences, il répondit aux députés des alliés, que tant d'événements divers tenaient en suspens, avec toute la grandeur d'âme que lui inspirait la confiance en ses rares qualités, mais sans qu'il lui échappât aucun mot d'orgueil; et il mit dans tous ses discours autant de dignité que de persuasion.

Préparatifs avant la saison d'hiver (fin de l'année 211)

[XXVI, 20]

(1) Quittant bientôt Tarragone, il alla visiter les villes alliées et les quartiers d'hiver de l'armée, et donna les plus grands éloges aux soldats, qui, malgré les deux terribles échecs qu'ils avaient reçus coup sur coup, avaient su conserver la province à la république, (2) empêcher les ennemis de profiter de leurs succès en les repoussant au-delà de l'Èbre, et défendre les alliés avec une fidélité inaltérable. (3) Il avait toujours Marcius avec lui, et la haute considération qu'il lui témoignait prouvait assez que l'envie ne lui faisait redouter aucun rival de gloire. (4) Silanus remplaça Néron, et les nouvelles levées furent mises en quartiers d'hiver. Scipion, après s'être porté partout où il était besoin, et avoir pris toutes les mesures nécessaires avec autant de diligence que de sagesse, revint à Tarragone. (5) Sa renommée n'était pas moindre chez les ennemis que parmi ses concitoyens et les alliés. Il s'y joignait une sorte de pressentiment de l'avenir, et les craintes qu'il faisait naître étaient d'autant plus vives, qu'il était plus difficile de s'en rendre compte. (6) Les généraux carthaginois avaient leurs quartiers d'hiver séparés. Hasdrubal, fils de Gisgon, était sur les côtes de l'Océan, vers Cadix; Magon, dans le milieu des terres, surtout au-dessus des bois de basse; Hasdrubal, fils d'Hamilcar, avait pris ses cantonnements près de l'Èbre, aux environs de Sagonte. (7) Vers la fin de la campagne où Capoue fut prise, et où Scipion passa en Espagne, la flotte carthaginoise qu'Hannibal avait fait venir de Sicile à Tarente, pour couper les vivres à la garnison romaine, (8) avait, à la vérité, fermé tous les passages du côté de la mer; mais sa croisière prolongée dans les mêmes parages affamait ses amis encore plus que ses ennemis. (9) En effet, les habitants des villes riveraines et des ports que la présence des Carthaginois avait laissés ouverts ne pouvaient recevoir autant de blé qu'en exigeait la consommation de la flotte elle-même, composée d'un mélange de gens de toute espèce; (10) au contraire, la garnison romaine pouvait, à raison de son petit nombre, vivre, sans de nouveaux convois, des approvisionnements faits à l'avance, tandis que les Tarentins et la flotte n'avaient pas assez de ceux qui leur arrivaient. (11) Enfin, les vaisseaux carthaginois reprirent la mer, et Tarente vit leur départ avec plus de plaisir que leur arrivée. Leur retraite ne ramena pas l'abondance, parce que, dès l'instant où la mer cessa d'être libre, les approvisionnements ne pouvaient plus parvenir jusqu'à la ville.

 

 
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