Les croisades (1095 -
1270) et la colonisation franque en Orient
CHAPITRE
PREMIER :
Les croisades
IV : Quatrième
croisade (1202 – 1204)
1° Causes de la croisade,
prédication de Foulques de Neuilly – Avec la mort de Saladin et le démembrement de
ses Etats, l’on pouvait penser, en Occident, que le royaume de Jérusalem
pourrait se relever. Mais les francs d’Orient ne surent pas profiter des
circonstances.
En outre, le frère de Saladin, qui avait
supplanté les fils de ce dernier, était arrivé à la tête du sultanat du
Caire. Et ce dernier semblait être un ennemi redoutable.
Le pape Innocent III, dès qu’il fut nommé pape
(1198.), voulut lancer une nouvelle croisade, afin de délivrer les lieux
saints, et écrivit en ce sens aux princes les plus puissants d’Europe. Il
fut secondé par Foulques, un prêtre de Neuilly sur Marne. En 1199, ce
dernier prêcha en Flandre, en Normandie, en Bourgogne, trouvant partout avec
un grand succès.
Mais le tournant décisif eut lieu alors qu’il
arriva en Champagne. Se trouvait là toute la noblesse du nord de la France,
réunie pour participer au tournoi d’Ecris, dans les Ardennes. Ils avaient
été réunis ici par Thibaud, comte de Champagne. Foulques parla sans
détours, et il parvint à enthousiasmer son auditoire : Thibaud prit la
croix, tout comme son frère, Simon de Blois, ainsi que le duc de Bourgogne,
le comte Simon de Montfort (plus tard connu pour sa participation à
la croisade contre les
Cathares.), les comtes de Brienne et Geoffroy de Villehardouin, maréchal de
Champagne (c’est ce dernier qui écrivit plus tard une chronique sur la
IV° croisade.).
Simon de Montfort, par FEUCHERE, château de Versailles, Versailles.
D’autres seigneurs se joignirent
plus tard aux premiers croisés : du duché de France, Coucy et Montmorency ;
de Flandre, Baudouin IX, comte de Flandre ; d’Italie, le marquis de
Montferrat. A la mort de Thibaud de Champagne, en 1201, il prit la tête de
l’expédition. En effet, c’était lui qui connaissait le mieux la Terre
Sainte, étant le frère du défunt roi de Jérusalem.
Sans oublier bien sûr le doge de
Venise, Enrico Dandolo, qui influença terriblement le choix des croisés au
cours de cette croisade.
Aucun roi ne participa à l’expédition, comme
lors de la I° croisade. A cette époque, le roi d’Angleterre, Richard Cœur de
Lion, venait de décéder, et son frère, Jean sans Terre, était loin d’être un
guerrier. La France était alors frappée d’interdit[1]
parce que l’Eglise n’avait pas apprécié le divorce entre le roi Philippe II
et la reine Ingeburge. Enfin, en Allemagne, la guerre civile faisait rage,
opposant deux prétendants à la couronne, Philippe de Souabe et Othon de
Brunswick.
En 1202, bien sûr,
personne ne pouvait s’imaginer que la IV° croisade serait ainsi détournée de
son but. Mais cela ne veut pas dire que les relations entre Latins et Grecs
étaient souriantes, bien au contraire.
Les Byzantins, disaient les occidentaux,
étaient des fourbes, des effémines et des hérétiques, complices des
musulmans et attirés par l’argent. Lors des croisades précédentes, les
Byzantins avaient été hostiles aux croisés, et leur comportement avait
conduit à la catastrophe[2]
(défaite de Dorylée, massacre d’Attalia, etc.).
Mais les frictions entre Latins
et Grecs ne s’arrêtèrent pas là. En 1171, l’Empereur de Constantinople,
Manuel Comnène, était mécontent des Vénitiens qui résidaient dans sa ville.
Après les avoir invités à regagner leurs entrepôts, il les fit arrêter et
confisqua leurs biens. En 1182, l’Empereur Andronic Comnène, excédé
par le nombre sans cesse croissant de Latins dans sa ville, décida de
massacrer les marchands occidentaux de Constantinople, ainsi que le clergé
catholique de la ville.
Les Byzantins, quant à eux,
considéraient que les occidentaux étaient des brutes ignares, sans culture
théologique, prompts à enfreindre leurs engagements. En effet, les habitants
de la ville n’avaient pas apprécié le fait que les croisés, lors de la
première croisade, ne respectèrent pas leurs engagements (ces derniers
avaient fait le serment de rendre à l’Empire byzantin les territoires qu’il
avait perdu, en particulier Edesse et Antioche.).
2° Premier
incident de la croisade, prise de Zara (1202) – Les chefs de la
croisade, en 1202, étaient à la tête d’une armée comptant plusieurs dizaines
de milliers d’hommes. Mais cependant, très peu virent la Terre Sainte. En
effet, un premier incident détourna la croisade de son but.
Les croisés avaient décidé
d’emprunter la voie maritime, et s’étaient pour cela adressés à Venise, la
première puissance maritime de l’époque. Venise, en 1201, s’engagea à leur
fournir des navires, contre la somme de 85 000 marcs d’argent (20 000 000 €
à peu près.). Ces derniers pourraient héberger 4 500 chevaliers, 9 000
écuyers et 20 000 fantassins.
Mais les organisateurs de la
croisade avaient surestimé leurs effectifs, et ne purent donc honorer leur
créance (les chevaliers ne purent rassembler que 35 000 marcs.). Afin
que les croisés puissent s'acquitter de leur dette, le doge de
Venise leur proposa de prendre Zara, une ville chrétienne, se trouvant en Dalmatie.
Les chevaliers acceptèrent et
mirent le cap vers la ville. Ils l’assiégèrent, la pillèrent, puis y prirent
leurs quartiers d’hiver (1202 - 1203.).
3° Deuxième
incident, siège de Constantinople (1203) – Un nouvel incident acheva de
faire oublier aux croisés la route de Jérusalem. Pendant qu’ils se
trouvaient à Zara, ils virent arriver dans leur camp un prince, Alexis,
dont le père, Isaac Ange, avait été aveuglé et détrôné par Alexis
III (la dynastie des Anges avait mis fin à la tyrannie
d’Andronic Comnène, qui était un usurpateur.). Le jeune homme implorait le
secours des Francs, leur faisant mille promesses : il nourrirait l’armée,
réconcilierait l’Eglise de Constantinople et l’Eglise de Rome, leur payerai
une indemnité de 200 000 marcs (plus de 40 000 000 d’€.), et fournirait
10 000 hommes pour la conquête de la Terre Sainte.
Les Vénitiens insistaient pour
que les chefs des croisés acceptent, car ils y voyaient là une opportunité
commerciale ; quelques évêques étaient aussi favorables à cette expédition,
voulant réconcilier les deux Eglises ; mais quelques seigneurs, comme Simon
de Montfort, refusèrent, et s’embarquèrent directement pour Jérusalem.
Finalement, les chefs de la
croisade décidèrent de partir pour Constantinople, où ils arrivèrent en
juillet 1203.
Les croisés arrivent à Constantinople, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
Constantinople était l’une des
plus magnifiques villes de l’époque. Ses hautes murailles défendaient une
cité extrêmement riche, comptant de nombreux palais et d’innombrables
églises. L’on estime que 500 000 habitants vivaient à Constantinople.
L’usurpateur byzantin se trouvait
sur l’autre rive du Bosphore, attendant que les croisés attaquent. Son armée
fut mise en déroute, et dix jours après, le 17 juillet 1203, la ville
tombait au pouvoirs des assiégeants. Quant à l’Empereur, il s’était enfui de
nuit, abandonnant sa famille et sa capitale, emportant avec lui ses
trésors.
4° Troisième
incident, second siège de Constantinople (1204) – Le vieil Isaac Ange
fut alors tiré de sa prison et rétabli sur le trône, qu’il partagea avec son
fils (qui devint Alexis IV.).
Au début, tout alla bien. Les
deux souverains confirmèrent par écrit les promesses faites par écrit à
Zara. Cependant, ces dernières furent bien dures à tenir. Les relations
entre Byzantins et croisés se dégradèrent au fil de l’hiver 1203 – 1204.
La population de la ville voyait
d’un mauvais oeil le comportement d’Alexis Ange, qui augmentait les impôts
pour rembourser les croisés, et parlait de revenir à l’obéissance de
l’Eglise romaine. Un courtisan, Alexis Ducas, surnommé Murzuphle
(ce qui veut dire l’homme aux sourcils épais.), excita les esprits,
et une révolte éclata. Prétextant vouloir sauver le jeune Empereur, il
s’assura de sa personne, le fit jeter en prison et l’étrangla. Puis
Murzuphle ceignit la couronne impériale, prenant le nom d’Alexis V
(Isaac Ange, décéda dans des circonstances suspectes : soit il mourut de
tristesse suite à l’exécution de son fils, soit il fut assassiné.).
Les croisés, apprenant la
révolte, comprirent vite qu’ils n’auraient rien à attendre du nouvel
Empereur. Il décidèrent alors de reprendre la ville, donnant l’assaut en
avril 1204, du côté de la Corne d’Or. Les attaques furent terribles, et dut
être renouvelé plusieurs jours de suite. Finalement, un quartier de la ville
fut emporté, et Murzuphle décida de fuir.
La prise de Constantinople par les croisés, par Paul Lehugeur, XIX° siècle.
Constantinople fut alors mise à
feu et à sang. Non seulement les croisés tuèrent de nombreux habitants, mais
en plus ils s’emparèrent de richesses immenses, saccagèrent temples et
monuments. L’autel de l’église Sainte Sophie fut brisé, les trésors du
patriarche furent pillés, les tombes des Empereurs furent ouvertes, les
reliques furent partagés entre les croisés, des œuvres d’art furent volées,
etc.
Quelques chefs protestèrent
contre ce pillage, comme Baudouin IX de Flandre, mais ils ne furent pas
écoutés. Les reproches du pape Innocent III n’y firent rien non plus.
5° Fondation de
l’Empire latin de Constantinople (1204) – L’Empire grec était à terre,
et sur ses ruines l’on éleva un Empire latin. Le trône impérial échut alors
à Baudouin IX de Flandre (il reçut aussi la Thrace et quelques régions
voisines.). Mais l’Empire byzantin, qui auparavant était uni, se retrouvé
morcelé, en vertu du système féodal : le marquis de Montferrat devint roi de
Macédoine, le comte de Blois devint seigneur d’Andrinople, Villehardouin
devint maréchal de Roumélie. Il y eut aussi des princes de Morée, des ducs
d’Athènes, des comtes de Sparte, etc. En dehors de Constantinople,
l’Empereur ne l’était que de nom.
Venise ne fut pas non plus
oubliée par le partage. Elle reçut trois quartiers de la ville, ainsi que
Corfou, Modon, Coron, Eubée et les îles de la mer Egée. Mais son principal
gain fut le commerce avec l’Orient, qui dès lors tombait entre ses mains. Le
grand marché de Constantinople recevait d’Asie le coton, la soie, les bois
précieux, les parfums, les épices, etc. Ces richesses passèrent toujours en
Europe, mais par l’intermédiaire des Vénitiens, qui se firent d’immenses
bénéfices au passage.
L'Empire byzantin suite à la IV° croisade (1204).
6° Résultats de la
IV° croisade – Les résultats de cette expédition furent avant tout
politiques et commerciaux. Les croisés acquirent des richesses et des
terres, mais les gains religieux furent minimes : toutes les tentatives
faites pour réconcilier le clergé grec et latin échouèrent.
L’Empire latin de Constantinople
fut faible dès sa création, et ne fut jamais qu’un très mince appui pour la
Terre Sainte. Moins d’un an après sa fondation, Baudouin tombait aux mains
des Bulgares et mourait en captivité. Ses successeurs ne firent que végéter
jusqu’en 1261, date à laquelle les princes grecs, qui avaient fondé un
nouvel Empire à Nicée, les chassèrent de Constantinople. Mais à partir de
cette date, les Grecs furent trop épuisés pour pouvoir lutter efficacement
contre leurs ennemis musulmans.
[1]
L’interdit était une sentence ecclésiastique consistant à interdire
la célébration des offices divins et l’usage de certains sacrements.
[2]
Pour plus de détails sur les ‘perfidies’ grecques, voir le 3-4-5,
section II, chapitre premier, les croisades et la colonisation
franque en Orient.