La localisation d’Alésia
ne fait apparemment guère de doutes : la place forte gauloise se situait sur
le mont Auxois, à Alise-Sainte-Reine, en Bourgogne. L’idée s’en est imposée
depuis les fouilles exécutées sous l’autorité directe de Napoléon III il y a
cent cinquante ans. Plus qu’une idée reçue, c’est un véritable dogme
national.
Pourtant, on l’a presque
oublié, cette localisation voulue par Napoléon III fut vivement critiquée
par nombre d’érudits de l’époque. Ceux-ci relevèrent en effet entre le site
d’Alise-Sainte-Reine et les textes des historiens anciens de très nombreuses
incompatibilités que les dernières fouilles (1991-1997) n’ont pas résolues.
Parallèlement, des travaux récents appuyés sur des analyses rigoureuses des
textes et des découvertes archéologiques reconnues ont abouti à une
hypothèse qui ne présente aucune des incompatibilités relevées à
Alise-Sainte-Reine et répond aux descriptions des textes anciens.
Il y a donc deux
hypothèses en présence : d’un côté la thèse officielle qui s’appuie sur une
tradition nationale enracinée et une certaine interprétation des fouilles
réalisées à Alise-Sainte-Reine ; de l’autre les résultats d’une recherche
reposant à la fois sur les critiques émises par des érudits du XIXème
siècle, l’analyse des textes et des découvertes archéologiques faites dans
le Jura depuis 1962.
De telles discussions
entre historiens sont ordinaires. Elles relèvent de la recherche la plus
classique. On aurait pu s’attendre à ce que l’examen des découvertes du Jura
soit fait dans un climat strictement professionnel. Textes, lieux et données
archéologiques sont accessibles et se prêtent à l’analyse. Les deux
hypothèses peuvent donc être aisément comparées. Cette discussion sur le
fond est pourtant impossible :
Les dirigeants des
institutions nationales d’histoire et d’archéologie sont depuis toujours
partisans du site d’Alise-Sainte-Reine. Ils ont créé dès le milieu du XIXème
siècle une véritable tradition nationale sur ce sujet et depuis cette époque
se succèdent en la soutenant activement. Ils peuvent utiliser dans ce but
tout le poids des institutions qu’ils dirigent ou influencent (à commencer
par l’Université, l’Education Nationale, la Recherche…). De nos jours ils
affirment que, comme les travaux de leurs prédécesseurs, les leurs font de
cette localisation une vérité.
Le nouveau site proposé
présente des arguments très sérieux mais pas encore suffisants pour qu’il
fasse pleinement autorité : pour qu’une telle localisation soit
scientifiquement établie il est nécessaire que des preuves archéologiques
encore plus décisives la confirment. Ces preuves ne peuvent être que le
résultat de fouilles.
Or ces fouilles ne sont
pas libres ; il faut une autorisation officielle pour les réaliser. Cette
autorisation dépend des dirigeants des institutions nationales d’archéologie
qui sont justement les partisans de l’hypothèse adverse : malgré les
interventions de plusieurs ministres de la Culture dont dépendent ces
dirigeants, les autorisations de lancer de véritables fouilles n’ont jamais
été accordées.
Ce blocage est d’autant
plus paradoxal qu’il provient des institutions mêmes qui sont chargées de
faciliter la recherche dans les domaines historiques et archéologiques et
que la bataille d’Alésia est un événement majeur de notre Histoire. Elles
devraient s’empresser d’en vérifier tous les aspects. Elles s’y refusent au
nom de leurs propres convictions. Elles n’ont cependant pas pu empêcher
toute évolution.
D’un côté, les données
mises en évidence dans le Jura ont entraîné l’intervention de plusieurs
Ministres de la Culture, MM. Malraux, Duhamel et Michelet. Ils imposèrent
l’exécution de sondages que l’obstruction des services concernés réduisit
autant que possible. Trop rares et très limités, ces sondages ont pourtant
apporté des éléments archéologiques positifs. Ils confirment l’intérêt
historique majeur du site.
De l’autre, la direction
de l’archéologie a déclenché de nouvelles fouilles à Alise-Sainte-Reine pour
lever tous les doutes que le site génère, rendre alors inutile toute autre
recherche sur la localisation d’Alésia et retirer ainsi sa justification au
site du Jura. Ces résultats sont-ils atteints ?
On peut signaler sur ce
point que, quelle que soit la valeur accordée aux fouilles récentes
d’Alise-Sainte-Reine, on ne voit pas en quoi elles annuleraient ce qui a
déjà été établi dans le Jura : qu’il s’agisse ou non de l’Alésia antique,
tout y reste aussi imposant et demande toujours que des recherches suivies
s’y déroulent. Si elles aboutissaient à y situer la bataille d’Alésia, c’en
serait fini des thèses officielles sur Alise-Sainte-Reine. Pour ce dernier
site, l’enjeu n’est pas neutre.
L’objet de cette note
est de présenter et d’évaluer les arguments des deux localisations. Une
première partie exposera les positions officielles de l’administration de
l’archéologie en faveur d’Alise-Sainte-Reine et examinera si ses arguments
sont décisifs. Une deuxième partie présentera les éléments qui militent en
faveur du site du Jura. Une dernière partie montrera de quelle façon
l’administration de l’archéologie traite ces données. La conclusion
proposera une meilleure conception de la recherche.